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CORRESPONDANCE.

en auriez l’hommage ; mais j’ai tout perdu. Il me reste à peine des yeux pour vous voir, une âme pour vous admirer, et une main pour vous l’écrire.

8720. — À M. D’ALEMBERT.
1er janvier.

Mon cher et digne soutien de la raison expirante, je pourrais vous dire : Si vous voulez voir un beau tour, faites-le. Mais vous êtes nécessaire à la bonne cause, vous êtes dans la fleur de l’age, vous êtes secrétaire de quarante gens pleins d’esprit ; je suis inutile, je suis sur le bord de ma fosse, je n’ai rien à risquer ; je serai très-volontiers le chat qui tirera les marrons du feu. Le non magis[1] m’a tant fait rire, tout malingre que je suis, que je n’en ai pu dormir de la nuit, et que j’ai passé les premières vingt-quatre heures de l’année 1773 à me brûler la patte en tirant vos marrons.

Tout ce que je crains, c’est que les pauvres diables ne se doutent de leur sottise, et ne changent leur non magis en non minus, ce qui rendrait ma nuit blanche absolument inutile.

Mandez-moi, je vous prie, tout ce que vous savez sur ces belles choses, et tout ce qui peut ranimer ma vieillesse ; car j’ai résolu de me moquer des gens jusqu’à mon dernier soupir. Je suis volontiers comme Arlequin condamné à la mort, à qui le juge demanda de quel genre de mort il voulait périr : il choisit fort sensément de mourir de rire.

N’oubliez pas le charmant Savatier[2]. Dites-moi, si vous le savez, le nom du procureur et de l’avocat : car, après tout, il s’agit du salut de la république, et il ne faut rien négliger.

Vous ne me parlez point des Lois de Minos, que M. de Rochefort doit vous avoir prêtées à vous seul. Je vous avertis, en honnête conjuré, que si ces Lois sont sifflées, les pattes du chat sont coupées. Je n’aurai point le prix de l’université, et la bonne cause ira à tous les diables.

On m’a envoyé un livre de maître Pompignan[3], évêque du Puy-en-Velay, contre le théisme, le déisme, l’athéisme, et le jansénisme cela m’a paru parfait en son genre. C’est, ou je me

  1. Voyez lettres 8716 et 8733.
  2. Voyez lettre 8747.
  3. La Religion vengée de l’incrédulité par l’incrédulité même, 1772, in-12 ; ouvrage de Jean-George Lefranc de Pompignan, évêque du Puy, devenu archevêque de Vienne en 1771.