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CORRESPONDANCE.

Je me mets aux pieds de Votre Majesté avec tout le respect et l’admiration qu’elle inspire.

Le vieux Malade de Ferney.
8680. — À M. D’ALEMBERT.
13 novembre.

Mon cher et grand philosophe, mon véritable ami, j’ai reçu par une voie détournée une lettre[1] que je n’ai pas cru d’abord être de vous, parce que voici la saison où je perds la vue, selon mon usage. Je ne savais pas d’ailleurs que vous fussiez l’ami de Mme Geoffrin : je vous en félicite tous deux ; mais mettez un D dorénavant au bas de vos lettres, car il y a quelques écritures qui ressemblent un peu à la vôtre, et qui pourraient me tromper. Il est vrai que personne ne vous ressemble ; mais n’importe, mettez toujours un D.

Pour vous satisfaire sur votre lettre, vous et Mme Geoffrin, il faut d’abord vous dire que je brochai, il y a un an, les Lois de Minos, que vous verrez siffler incessamment. Dans ces Lois de Minos, le roi Teucer dit au sénateur Mérione[2] ;


Il faut changer de lois, il faut avoir un maître.


Le sénateur lui répond :


Je vous offre mon bras, mes trésors, et mon sang ;
Mais, si vous abusez de ce suprême rang
Pour fouler à vos pieds les lois de la patrie,
Je la défends, seigneur, au péril de ma vie, etc.


C’était le roi de Pologne qui devait jouer ce rôle de Teucer, et il se trouve que c’est le roi de Suède qui l’a joué.

Quoi qu’il arrive, je me trouve d’accord avec Mme Geoffrin dans son attachement pour le roi de Pologne, et dans son estime pour M. le comte d’Hessenstein[3] ; mais je l’avertis que Mérione n’est qu’un petit fanatique, et qu’il n’a pas la noblesse d’âme de son Suédois. J’admire Gustave III, et j’aime surtout passionnément sa renonciation solennelle au pouvoir arbitraire ;

  1. Cette lettre doit être perdue, car la dernière de d’Alembert est du 6 mars, No 8491.
  2. Acte V. scène i.
  3. Ce passage fut imprimé dans le Mercure de février 1773, page 140 (voyez lettre 8733).