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année 1772.

Il faut en chercher la raison dans l’inquiétude naturelle à l’homme. Si l’un n’excite des troubles, c’est l’autre ; et une étincelle cause souvent un embrasement général.

Voilà bien du raisonnement ; je vous donne de la marchandise de mon pays. Vous autres Français, vous possédez l’imagination ; les Anglais, à ce que l’on dit, la profondeur ; et nous autres, la lenteur, avec ce gros bon sens qui court les rues. Que votre imagination reçoive ce bavardage avec indulgence, et qu’elle permette à ma pesante raison d’admirer le phénix de la France, le seigneur de Ferney, et de faire des vœux pour ce même Voltaire que j’ai possédé autrefois, et que je regrette tous les jours, parce que sa perte est irréparable.

Fédéric.
8668. — À CATHERINE II,
impératrice de russie.
2 novembre.

Madame, il me paraît, par votre dépêche du 12 septembre, qu’il y a une de vos âmes qui fait plus de miracles que Notre-Dame de Czenstochow, nom très-difficile à prononcer. Votre Majesté impériale m’avouera que la santa Casa di Loreto est beaucoup plus douce à l’oreille, et qu’elle est bien plus miraculeuse, puisqu’elle est mille fois plus riche que votre sainte Vierge polonaise. Du moins les musulmans n’ont pas de semblables superstitions, car leur sainte maison de la Mecque, ou Mecca, est beaucoup plus ancienne que le mahométisme, et même que le judaïsme. Les mulsulmans n’adorent point, comme nous autres, une foule de saints, dont la plupart n’ont point existé, et parmi lesquels il n’y en a que quatre peut-être avec qui vous eussiez daigné souper.

Mais aussi voilà tout ce que vos Turcs ont de bon. Je suis très-content, puisque mon impératrice reprend l’habitude de leur donner sur les oreilles.

Je remercie de tout mon cœur Votre Majesté de vous être avancée vers le Midi ; je vois bien qu’à la fin je serai en état de faire le voyage que j’ai projeté depuis longtemps ; vous accourcissez ma route de jour en jour. Voilà trois belles et bonnes têtes dans un bonnet la vôtre, celle de l’empereur des Romains, et celle du roi de Prusse.

Le dernier m’a envoyé sa belle médaille de Regno redintegrato[1]. Ce mot de redintegrato est singulier, j’aurais autant aimé novo.

  1. Voyez la note de la lettre 8629.