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CORRESPONDANCE.

sans délai cette pauvre Crète ; elle est déjà blessée à mort par la police : elle mourra des mains de Dauberval, de Monvel, de Dalainval, de Clavareau, de Bagnoli, et de Belmont : mais je ne veux pas être complice de sa mort. Je vous demande, avec la plus vive instance, d’avoir la bonté de me renvoyer la pièce sur-le-champ par Marin, qui la contre-signera, et je la renverrai tout de suite avec les changements qui sont prêts. Ces changements sont d’une nécessité absolue. Il est triste que le champ de bataille soit à cent trente lieues du pauvre général. Vous savez ce qui arriva à l’armée de M. de Belle-Isle, pour avoir voulu la commander de loin[1].

Je me mets à l’ombre de vos ailes ; mais écrivez-moi donc.

Vous avez du recevoir un petit paquet de moi par Marin.

8563. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
19 juin.

Non, je ne puis croire ce comble d’iniquité ; non, il n’est pas possible que mes anges abandonnent la Crète à tant d’horreurs, et qu’ils laissent plaider la cause sans que les avocats soient préparés. J’ai déjà mandé que ce pauvre diable d’avocat Duroncel travaillait comme Linguet à mettre plus d’ithos et de pathos dans son plaidoyer, et à prévenir toutes les objections de ses adversaires. Jugez-en par ces vers-ci, qui expliquent précisément quelle était l’espèce de pouvoir d’un roi de Crète :


Minos fut despotique, et laissa pour partage
Aux rois ses successeurs un pompeux esclavage,
Un titre, un vain éclat, le nom de majesté,
L’appareil du pouvoir, et nulle autorité.

(Les Lois de Minos, acte I, scène i.)

Tout ce qui pourrait fournir aux méchants des allusions impies sur les prêtres, ou quelques allégories audacieuses contre les parlements, est ou adouci ou retranché avec toute la prudence dont un avocat est capable. Enfin tous les emplâtres sont prêts, et on les appliquera sur-le-champ aux blessures faites par les ciseaux de la police. Il n’est donc pas possible, encore une

  1. En 1742, le maréchal de Belle-Isle, envoyé à la diète d’élection en qualité d’ambassadeur extraordinaire, avait conservé le commandement de l’armée de Bohème, et quelques échecs furent essuyés par l’armée française.