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CORRESPONDANCE.

pourra bien passer par Rome. Il serait triste que le grand inquisiteur et le sacré collège eussent le charbon.

Le fait est que Genève, ma voisine, tremble de tout son cœur, attendu qu’elle a plus de commerce avec Crémone qu’avec Rome ; mais sûrement les processions des catholiques auront purifié l’air avant que la peste ne vienne à Ferney, qui est tout au beau milieu des hérétiques.

Une autre peste est celle des confédérés de Pologne ; je me flatte que Votre Majesté impériale les guérira de leur maladie contagieuse. Nos chevaliers welches qui ont porté leur inquiétude et leur curiosité chez les Sarmates doivent mourir de faim, s’ils ne meurent pas du charbon. Voilà une plaisante croisade qu’ils ont été faire. Cela ne servira pas à faire valoir la prudence et la galanterie de ma chère nation.

Votre Majesté me demande si les auteurs de l’Encyclopédie avouent l’édition de Genève : ils la souffrent, mais ils n’en sont pas les maîtres. Elle devait se faire à Paris ; notre inquisition ne l’a pas permis. Les libraires de Paris se sont associés avec ceux de Genève pour cet ouvrage, qui ne sera fait de plusieurs années. Ils en sont les maîtres, et ils font travailler des auteurs à tant la feuille, comme je fais travailler mes manœuvres dans mon jardin à tant la toise. Ils ont fait écrire à M. le prince Gallitzin à la Haye, et lui ont demandé sa protection pour obtenir des suppléments ; ils ont raison : les articles de Russie donneront du lustre à leur édition, en dépit des canons fondus par M. de Tott. Ce M. de Tott, au reste, est un homme de beaucoup d’esprit : c’est dommage qu’il ait pris le parti de Moustapha. Je suis fâché qu’Ali-bey, le prince Héraclius, le prince Alexandre, ne connaissent point les fêtes de nos remparts, nos admirables opéras-comiques, notre fax-hall perfectionné, et qu’ils ne sachent pas danser le menuet proprement.

Je me mets aux pieds de Votre Majesté impériale pour l’année 1772 dont je compte voir le premier jour, car elle commence aujourd’hui, et personne n’est sûr du second. Votre admirateur et votre très-humble et très-passionné serviteur.

Le vieux Malade de Ferney.

La peste de Crémone vient de cesser ; on dit que ce n’est rien ; peut être demain recommencera-t-elle.