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avec votre façon de penser, et avec cette modération dont vous ne vous départez jamais dans les écrits que vous avouez vôtres. Au reste, je ne pense plus à mes maux ; c’est l’affaire de mes jambes de s’accoutumer à la goutte comme elles pourront. J’ai d’autres occupations : je vais mon chemin, clopinant ou boitant, sans m’embarrasser de ces bagatelles. Lorsque j’étais malade, en recevant votre lettre, le souvenir de Panétius[1] me rendit mes forces. Je me rappelai la réponse de ce philosophe à Pompée, qui désirait de l’entendre ; et je me dis qu’il serait honteux pour moi que la goutte m’empêchât de vous écrire.

Vous me parlez de tableaux suisses ; mais je n’en achète plus depuis que je paye des subsides. Il faut savoir prescrire des bornes à ses goûts comme à ses passions.

Au reste, je fais des vœux sincères pour la corroboration et l’énergie de votre poitrine. Je crois toujours qu’elle ne vous fera pas faux bond sitôt. Contentez-vous des miracles que vous faites en vie, et ne vous hâtez pas d’en opérer après votre mort. Vous êtes sûr des premiers, et les philosophes pourraient suspecter les autres. Sur quoi je prie saint Jean du désert, saint Antoine, saint François d’Assise, et saint Cucufin, de vous prendre tous en leur sainte et digne garde.

Fédéric.
7894. — DE MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT[2].
24 mai 1770.

Votre dernière lettre est du 5, ma dernière est du 8 ; j’en attendais une nouvelle de vous, pour éviter que nos lettres se croisassent ; elle n’arrive point ; je m’ennuie de ce long silence. J’ai du scrupule de n’avoir pas encore obéi à la grand’maman, qui m’avait chargée de vous dire beaucoup de choses. Peut-être vous les aura-t-elle écrites elle-même ; mais elle dit si bien qu’il n’y a pas d’inconvénient à la répéter : je vais la transcrire.

« Je vous envoie, ma chère petite-fille, une requête que M. de Voltaire m’a envoyée ; vous verrez qu’elle est adressée au roi, et qu’il dit en note que l’instance est au conseil. Le sujet en est très-intéressant ; la cause qu’il défend est certainement bonne en soi, mais je crains bien que la manière un peu trop philosophique dont elle est traitée, et le nom de M. de Voltaire n’y nuisent beaucoup. Comme votre commerce avec lui est plus régulier que le mien, je vous prie, la première fois que vous lui écrirez, de lui accuser pour moi la réception de cette requête, et de l’en remercier. Dites-lui en même temps, vous qui êtes en droit de lui tout dire, que vous ne lui conseillez pas de badiner avec le roi ; que les oreilles des rois ne sont pas faites comme celles des autres hommes, et qu’il faut leur parler un langage plus mesuré. Je vous prie aussi d’envoyer la requête au grand-papa, dès que vous l’aurez lue : je la lui annonce. »

  1. Frédéric veut dire Posidonius, disciple de Panétius.
  2. Correspondance complète, édition de Lescure, 1865.