Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/76

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

repartir dès qu’il les aura arrangés. Il ne s’agit ici en aucune manière de la parole de Dieu, qu’il prêche le plus rarement qu’il peut à Genève, et qu’il ne prêchera certainement point à la Rochelle. Il a été pasteur d’une église où j’avais un banc ; et nous l’appelions brebis plutôt que pasteur. C’est le meilleur diable qui soit parmi les hérétiques. Je vous prie, monsieur, de lui accorder votre protection, et point d’eau bénite de cour, attendu qu’il n’aime l’eau bénite d’aucune façon. Je regarderai comme des faveurs faites à moi-même toutes les bontés que vous voudrez bien avoir pour lui.

J’ai l’honneur d’être avec respect, etc.

7873. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
À Ferney, 4 mai.

Sire, je me flatte que votre santé est entièrement raffermie. Je vous ai vu autrefois vous faire saigner à cloche-pied immédiatement après un accès de goutte, et monter à cheval le lendemain : vous faites encore plus aujourd’hui ; vos dialogues à la Marc-Aurèle[1] sont fort au-dessus d’une course à cheval et d’une parade.

Je ne sais si Votre Majesté est encore autant dans le goût des tableaux qu’elle est dans celui de la morale. L’impératrice de Russie en fait acheter à présent de tous les côtés ; on lui en a vendu pour cent mille francs à Genève ; cela fait croire qu’elle a de l’argent de reste pour battre Moustapha. Je voudrais que vous vous amusassiez à battre Moustapha aussi, et que vous partageassiez avec elle ; mais je ne suis chargé que de proposer un tableau à Votre Majesté, et nullement la guerre contre le Turc. M. Hennin, résident de France à Genève, a le tableau des trois Grâces, de Vanloo, haut de six pieds, avec des bordures[2]. Il le veut vendre onze mille livres voilà tout ce que j’en sais. Il était destiné pour le feu roi de Pologne. S’il convient à votre nouveau palais, vous n’avez qu’à ordonner qu’on vous l’envoie, et voilà ma commission faite.

Comme j’ai presque perdu la vue au milieu des neiges du mont Jura, ce n’est pas à moi à parler de tableaux. Je ne puis guère non plus parler de vers dans l’état où je suis : car si Votre

  1. Voyez lettre 7868.
  2. Frédéric n’acheta pas le tableau ; voyez lettre 7893.