Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/557

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
547
ANNÉE 1771.

curieux de vos ouvrages, et qu’on ne les lit pas aux bords de la Havel avec autant et peut-être plus de plaisir que sur les rives de la Seine ou du Rhone ? Cette brochure parut précisément après que les Français eurent pris possession du Comtat ; je crus que c’était leur manifeste, et que par mégarde on l’avait imprimé après coup.

Je vous ai mille obligations des sixième et septième tomes de votre Encyclopédie, que j’ai reçus. Si le style de Voiture était encore à la mode, je vous dirais que le père des muses est l’auteur de cet ouvrage, et que l’approbation est signée du dieu du goût. J’ai été fort surpris d’y trouver mon nom[1], que vous y avez mis par charité. J’y ai trouvé quelques paraboles moins obscures que celles de l’Évangile, et je me suis applaudi de les avoir expliquées. Cet ouvrage est admirable, et je vous exhorte à le continuer. Si c’était un discours académique, assujetti à la révision de la Sorbonne, je serais peut-être d’un autre avis.

Travaillez toujours ; envoyez vos ouvrages en Angleterre, en Hollande, en Allemagne, et en Russie ; je vous réponds qu’on les y dévorera. Quelque précaution qu’on prenne, ils entreront en France ; et vos Welches auront honte de ne pas approuver ce qui est admiré partout ailleurs.

J’avais un très-violent accès de goutte quand vos livres sont arrivés, les pieds et les bras garrottés, enchaînés, et perclus : ces livres m’ont été d’une grande ressource. En les lisant, j’ai béni mille fois le ciel de vous avoir mis au monde.

Pour vous rendre compte du reste de mes occupations, vous saurez qu’à peine eus-je recouvré l’articulation de la main droite, que je m’avisai de barbouiller du papier ; non pour éclairer, non pour instruire le public et l’Europe, qui a les yeux très-ouverts, mais pour m’amuser. Ce ne sont pas les victoires de Catherine que j’ai chantées, mais les folies des confédérés. Le badinage convient mieux à un convalescent que l’austérité du style majestueux. Vous en verrez un échantillon. Il a six chants[2]. Tout est fini, car une maladie de cinq semaines m’a donné le temps de rimer et de corriger tout à mon aise. C’est vous ennuyer assez que deux chants de lecture que je vous prépare.

Ah ! que l’homme est un animal incorrigible ! direz-vous en voyant encore de mes vers. La Valachie, la Moldavie, la Tartarie, subjuguées, doivent être chantées sur un autre ton que les sottises d’un Krasinski, d’un Potocki, d’un Oginski, et de toute cette multitude imbécile dont les noms se terminent en ki.

Comme je me crois un être qui possède une liberté mitigée, je m’en suis servi dans cette occasion ; et comme je suis un hérétique excommunié une fois pour toutes, j’ai bravé les foudres du Vatican bravez-les de même, car vous êtes dans le même cas.

Souvenez-vous qu’il ne faut point enfouir son talent : c’est de quoi jus-

  1. À l’article Gloire ; Voyez tome XIX, page 266.
  2. Il est intitulé la Pologniade, ou la Guerre des confédérés, et fait partie des Œuvres posthumes de Frédéric II ; voyez la note, tome VII, page 165.