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CORRESPONDANCE.

demandez la paix. Je ne sais si vous êtes assez raisonnable pour faire cette démarche, et si on m’a trompé sur cette affaire comme sur votre flotte.

J’ignore encore s’il est vrai que vos troupes aient battu mon cher ami Ali-bey en Syrie. J’ai peur que ce petit succès ne vous enivre ; mais, prenez-y garde, les Russes ne ressemblent pas aux Égyptiens ; ils vous donnent sur les oreilles depuis trois ans, et vous les frotteront encore si vous persistez à ne pas demander pardon à l’auguste Catherine. J’ai été très-fâché que vous l’ayez forcée d’interrompre son beau code de lois pour vous battre. Elle aurait mieux aimé être Thémis que Bellone ; mais, grâce à vous, elle est montée au temple de la gloire par tous les chemins. Restez dans votre temple de l’orgueil et de l’oisiveté, et croyez que je serai toujours tout à vous.

L’Ermite de Ferney.

Je prends la liberté d’envoyer ma lettre à Sa Majesté impériale de Russie, qui ne manquera pas de vous la faire rendre.

8380. — À M. AUDIBERT.
À Ferney, 2 octobre.

Mille remerciements, monsieur, de toutes vos bontés ; c’est en avoir beaucoup que de daigner descendre, comme vous faites, dans toutes les minuties de ma cargaison. Je félicite de tout mon cœur vos Marseillais d’avoir si bien profité de la mauvaise spéculation des Anglais, et de faire si bien leurs affaires avec les Ottomans, qui font fort mal les leurs. Moi, qui vous parle, je soutiens actuellement un commerce que j’ai établi entre Ferney et la Sublime Porte. J’ai envoyé à la fois des montres à Sa Hautesse Moustapha et à Sa Majesté impériale russe, qui bat toujours Sa pauvre Hautesse ; et je fais bien plus de cas de ma correspondance avec Catherine II qu’avec le commandeur des croyants. C’est une chose fort plaisante que j’ai bâti vingt maisons dans mon trou de Ferney pour les artistes de Genève, qu’on a chassés de leur patrie à coups de fusil. Il se fait actuellement, dans mon village, un commerce qui s’étend aux quatre parties du monde ; je n’y ai d’autre intérêt que celui de le faire fleurir à mes dépens. J’ai trouvé qu’il était assez beau de se ruiner ainsi de fond en comble avant que de mourir.