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CORRESPONDANCE.
8374. ‑ À MILORD CHESTERFIELD[1].
À Ferney, le 24 septembre.

Des cinq sens que nous avons en partage, milord Huntingdon dit que vous n’en avez perdu qu’un seul, et que vous avez un bon estomac ; ce qui vaut bien une paire d’oreilles.

Ce serait peut-être à moi de décider lequel est le plus triste d’être sourd ou aveugle, ou de ne point digérer. Je puis juger de ces trois états en connaissance de cause ; mais il y a longtemps que je n’ose décider sur les bagatelles, à plus forte raison sur des choses si importantes. Je me borne à croire que, si vous avez du soleil dans la belle maison que vous avez bâtie, vous aurez des moments tolérables. C’est tout ce qu’on peut espérer à l’âge où nous sommes, et même à tout âge. Cicéron écrivit un beau traité sur la vieillesse[2], mais il ne prouva point son livre par les faits ses dernières années furent très-malheureuses. Vous avez vécu plus longtemps et plus heureusement que lui. Vous n’avez eu affaire ni à des dictateurs perpétuels, ni à des triumvirs. Votre lot a été et est encore un des plus désirables dans cette grande loterie où les bons billets sont si rares, et où le gros lot d’un bonheur continu n’a été encore gagné par personne.

Votre philosophie n’a jamais été dérangée par des chimères qui ont brouillé quelquefois des cervelles d’ailleurs assez bonnes. Vous n’avez jamais été, dans aucun genre, ni charlatan, ni dupe des charlatans ; et c’est ce que je compte pour un mérite très-peu commun, qui contribue à l’ombre de félicité qu’on peut goûter dans cette courte vie, etc.

8375. — À M. GABRIEL CRAMER[3].
Ferney, 26 septembre.

Vous ne pouvez, mon cher Gabriel, réparer trop tôt la méprise énorme qu’on a faite en imprimant sous mon nom, dans

  1. Cette lettre à Chesterfield a été publiée, pour la première fois, en 1776, à la suite du Commentaire historique sur les Œuvres de l’auteur de la Henriade (voyez tome Ier) ; mais elle y commence par des points, ce qui fait croire qu’elle n’est pas entière ; voyez aussi lettre 8488. Philippe Dormer Stanhope, comte de Chesterfield, né en 1694, est mort le 24 mars 1773 ; il a plus d’une fois place dans les Œuvres de Voltaire ; voyez tome XVII, page 236 ; et XXI, 577.
  2. Cato major, sive de Senectute.
  3. Éditeurs, de Cayrol et François.