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CORRESPONDANCE.

ne voudrais pas qu’ils y plaçassent Constantin et sainte Hélène, sa mère, parce que, comme chef de l’Église grecque, je n’aimerais pas à voir des personnes comme celles-là occuper les mêmes places qu’on donne souvent aux coqs et aux coucous. Il est vrai que les uns y sont à peu près aussi déplacés que les autres, mais au moins ces derniers indiquent-ils l’heure, tandis que je ne sais pas trop ce qu’on pourrait prétendre des autres dans un carillon.

Ne grondez point vos colons de m’avoir envoyé un surplus de montres ; cette dépense ne me ruinera pas. Il serait bien malheureux pour moi si J’étais réduite à n’avoir pas, à point nommé, d’aussi petites sommes chaque fois qu’il me les faudra. Je vous prie de ne pas juger de mes finances d’après celles des États ruinés de l’Europe ; vous me feriez tort. Quoique nous avons la guerre depuis trois ans, nous bâtissons, et tout le reste va comme en pleine paix. Il y a deux ans qu’aucun nouvel impôt n’a été imposé ; la guerre présentement à son état fixé, une fois réglé, qui ne dérange en rien les autres parties. Si nous prenons encore un ou deux Kaffa, la guerre est payée.

Je serai contente de moi chaque fois que j’aurai votre approbation. J’ai aussi relu mon Instruction pour le code, il y a quelques semaines, parce que je croyais alors la paix plus proche qu’elle ne l’est, et j’ai trouvé que j’avais raison en l’écrivant. J’avoue que le code, pour lequel beaucoup de matériaux se préparent, et d’autres le sont déjà, me donnera encore bien de la tablature avant qu’il parvienne au degré de perfection où je souhaite de le voir ; mais n’importe, il faut qu’il soit fait.

Quoique Taganrog ait la mer au midi et des montagnes au nord, cependant vos projets sur cette place ne pourront avoir lieu avant que la paix n’ait assuré ses environs contre toute appréhension du côté de la terre et de la mer : car, jusqu’à la prise de la Crimée, c’était la première place frontière vis-a-vis des Tartares. Peut—être m’amènera-t-on ici dans peu le kan de Crimée en personne. Dans ce moment j’apprends qu’il n’a pas passé la mer avec les Turcs, mais qu’il erre encore dans les montagnes de la Crimée avec une très-petite suite, à peu près comme le prétendant en Écosse après la défaite de Culloden. S’il me vient, nous travaillerons à le dégourdir cet hiver ; et pour me venger de lui, je le ferai danser, et il ira à la comédie française.

Adieu, monsieur ; continuez-moi votre amitié, et soyez assuré des sentiments que j’ai pour vous.

J’allais fermer cette lettre lorsque je reçois la vôtre du 10 juillet, dans laquelle vous me mandez l’aventure arrivée à mon Instruction en France. Je savais cette anecdote, mais avec l’appendice que c’était par l’ordre du duc de Choiseul, en conséquence de la haine passionnée qu’il mettait dans tout ce qui me regardait de loin ou de près. J’avoue que j’en ai ri quand je l’ai lu dans toutes les gazettes, et j’ai trouvé que j’étais assez vengée.

L’incendie arrivé à Saint-Pétersbourg a consumé en tout cent quarante maisons, selon les rapports de la police, parmi lesquelles il y en avait une vingtaine bâties en pierres ; tout le reste n’était que des baraques de bois mal bâties. Le grand vent avait porté les tisons dans différents endroits à la fois, ce qui renouvela l’incendie le lendemain, et lui donna un air surna-