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CORRESPONDANCE.

Il ne reste à l’ennemi, dans la Crimée, que deux ou trois méchants petits forts : les places de conséquence sont emportées, et je dois recevoir incessamment la capitulation signée par les Tartares.

Si après cela, monsieur, le sultan n’en a pas assez, on pourra lui en donner encore, et d’une autre espèce.

Soyez assuré de mon amitié, et de l’estime distinguée que j’ai pour vous.

Catherine

8341. — DE MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT[1].
28 juillet.

Il vous est commode, mon cher Voltaire, de vous persuader que je n’aime pas les encyclopédies ; cela vous dispense de m’envoyer la vôtre[2], que j’aurais indépendamment de vous si on la trouvait ici. Je n’aime point la science, la morale, la métaphysique in-folio ; je ne saurais admirer ni me soumettre à l’autorité et à l’importance de certains auteurs ; si j’ai tort, est-ce à vous à m’en punir, quand c’est vous à qui il faut s’en prendre du peu de respect que j’ai pour ces messieurs ; c’est vous qui m’avez formé le goût ; leurs opinions peuvent être semblables aux vôtres, et je les adopte volontiers ; mais dans la forme et la manière, ils ne vous ressemblent assurément pas.

M. Walpole, qui est un de vos grands admirateurs, veut que je vous dise qu’il est infiniment flatté de l’honneur que vous lui faites ; qu’il ne se serait jamais attendu à être cité par vous, et que les louanges que vous lui donnez, c’est vous qui les lui faites mériter. Ce sont vos ouvrages qu’il lit sans cesse, c’est l’admiration qu’il a de votre style qui forme le sien ; mais il n’a pas, cependant, la présomption de le croire encore assez bon pour oser vous faire lui-même ses remerciements. Il veut qu’ils passent par moi : j’y souscris en enfant perdu, sans craindre la critique, parce que je suis fort au-dessous de la prétention : c’est votre amitié que je veux, mon cher Voltaire, et, pour nouvelle preuve, votre Encyclopédie. Vous ne devez pas écrire un mot sans m’en faire part ; envoyez-moi donc incessamment cette Encyclopédie, afin de pouvoir la porter à Chanteloup, où j’espère aller au commencement de septembre. Vous n’aurez ni rime ni raison de moi que vous ne m’ayez accordé ma demande. Il me semble que vous m’aviez donné l’espérance de venir faire un tour ici ; il n’y a point de temps où je ne vous désire, mais dans ce moment-ci, je vous désirerais plus que dans tout autre : vous feriez connaissance avec M. Walpole, et je suis persuadée que vous seriez fort contents l’un de l’autre, et moi je le serais infiniment de me trouver entre vous deux ; mais, vanité des vanités, tout n’est que vanité ! J’en excepte l’amitié, que je crois (quoi qu’on en dise) le plus grand bien de la vie.

  1. Correspondance complète, édition de Lescure ; 1865.
  2. Questions sur l’Encyclopédie.