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CORRESPONDANCE.

Cette églogue, madame, ne pourrait déplaire qu’à ceux qui n’aiment ni Théocrite ni Virgile.

Pour moi, madame, qui les aime passionnément, je vous dirai :


Ante leves ergo pascentur in æthere cervi,
Quam nostro illius labatur pectore vultus.

(Virg. ecl. i, v. 60 et 64.)

Vous entendez le latin, madame ; vous savez ce que cela veut dire : Les cerfs iront paître dans l’air avant que j’oublie son visage. Les savants assurent que cela est fort élégant. Vous me direz, madame, que je n’ai jamais vu votre visage. Je vous demande pardon, je le connais très-bien, car j’ai, comme vous savez, votre soulier et vos lettres ; et quand on connaît le pied et le style de quelqu’un, il faudrait être bien bouché pour ne pas connaître ses traits parfaitement. Je suis désespéré de ne les pas voir face à face, mais je présume que ce bonheur n’est pas fait pour moi.

Embellissez les bords de l’Oronte, tandis que je vais me faire enterrer vers le lac Léman, en vous présentant à vous, et à tout ce qui vous environne en Syrie, mon profond respect, mon inviolable reconnaissance, mon adoration de latrie, ou du moins d’hyperdulie.

Le vieux radoteur aveugle, entre un lac et une montagne couverte de neige.

8313. — À CATHERINE II,
impératrice de russie.
À Ferney, 19 juin.

Madame, sur la nouvelle d’une paix prochaine entre Votre Majesté impériale et Sa Hautesse Moustapha, j’ai renoncé à tous mes projets de guerre et de destruction, et je me suis mis à relire votre Instruction pour le code de vos lois. Cette lecture m’a fait encore plus d’effet que les premières. Je regarde cet écrit comme le plus beau monument du siècle. Il vous donnera plus de gloire que dix batailles sur les bords du Danube, car enfin c’est votre ouvrage : votre génie l’a conçu, votre belle main l’a écrit ; et ce n’est pas votre main qui a tué des Turcs. Je supplie Votre Majesté, si elle fait la paix, de garder Taganrog, que vous dites être un si beau climat, afin que je puisse m’y aller établir pour y achever ma vie sans voir toujours des neiges comme au