Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/444

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
434
CORRESPONDANCE.

un des neveux[1] du solitaire. Il serait donc le plus ingrat et le plus indigne de tous les hommes, s’il n’avait pas une reconnaissance proportionnée à tant de bienfaits. Malheur à celui qui le condamnerait d’avoir rempli son devoir ! Ce ne sera pas certainement mon héros qui conseillera l’ingratitude. Un brave chevalier peut être d’un parti différent d’un autre brave chevalier ; mais tous deux doivent se rendre justice. Je me trouve comme Atticus entre César et Pompée. Le solitaire n’a écouté que son cœur : il est intimement persuadé que l’ancien parlement de Paris avait autant de tort que du temps de la Fronde ; il ne peut d’ailleurs aimer ni les meurtres des Calas, ni ceux du pauvre Lally, ni ceux du chevalier de La Barre. Les jurisconsultes de l’Europe, et surtout le célèbre marquis Beccaria, n’ont jamais qualifié ces jugements que d’assassinats.

Le solitaire a dans le nouveau parlement un neveu, doyen des conseillers-clercs[2], qui pense entièrement comme lui.

Le solitaire se flatte que monsieur le chancelier, qui jusqu’à présent a très-approuvé ses sentiments et sa conduite, trouvera très-bon qu’en rendant gloire à la vérité il rende aussi ce qu’il doit à M. le duc de Choiseul.

Le solitaire regarde les nouveaux établissements faits par monsieur le chancelier comme le plus grand service qu’on pouvait rendre à la France. Il n’a été que trop témoin des malheurs attachés au trop d’étendue qu’avait le ressort du parlement de Paris[3]. Il trouve que les princes et les pairs auront bien plus d’influence sur le nouveau parlement, qui sera moins nombreux. Il croit que tous les seigneurs hauts-justiciers doivent rendre grâce à monsieur le chancelier des droits qu’il leur donne. Il pense que le chef de la justice est presque le seul qui ait eu une éloquence absolument opposée au pédantisme, et il est rempli d’estime pour lui, sans rien savoir et sans vouloir rien savoir des intérêts particuliers qui ont pu diviser la cour.

Le solitaire supplie même monseigneur le maréchal de Richelieu de vouloir bien, dans l’occasion, faire valoir auprès de monsieur le chancelier la naïveté, le désintéressement qu’on expose dans cette lettre, et dont on ne peut pas douter. Monsieur le chancelier a eu la bonté de lui écrire.

Il arrive quelquefois, dans de pareilles occasions, qu’on

  1. Marchand de La Houlière ; voyez tome XXXVI, pages 212 et 223.
  2. Mignot ; voyez tome XXVIII, page 494.
  3. Le ressort du parlement de Paris s’étendait d’Aurillac à Boulogne et de la Rochelle à Mézières.