Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome47.djvu/440

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
430
CORRESPONDANCE.

que, s’il ne faisait pas la dénonciation, ces conseillers la feraient eux-mêmes, et que cela pourrait aller très-loin.

Je lui répondis, en présence de M. Hennin, résident à Genève, et de ma nièce, que cette affaire ne me regardait point du tout ; que je n’avais aucune part à cette histoire ; que d’ailleurs je la regardais comme très-véridique ; et que s’il était possible qu’une compagnie eût de la reconnaissance, le parlement devait des remerciements à l’écrivain, qui l’avait extrêmement ménagé.

Voilà, madame, ma confession achevée. Si vous me donnez l’absolution, je ne mourrai que dans quinze jours ; si vous me la refusez, je mourrai dans quatre ; mais si je ne mourais pas en vous adorant, je me croirais plus réprouvé que Belzebuth.

Le vieil Ermite.
8285. — À M. CHARDON.
À Ferney, 15 mai.

Monsieur, je ne vous ai point remercié assez tôt de l’honneur de votre souvenir. La raison en est que j’ai été tout près d’aller dans le vaste pays où l’on ne se souvient plus de personne ; mais le voyage est différé peut-être de quelques mois. En attendant, je me suis hâté de vous envoyer, par un coche qui va de nos déserts à Lyon, un petit paquet à votre adresse, intitulé Papiers. Je me flatte qu’on respectera votre nom, et que le petit paquet arrivera sain et sauf. Vous avez commencé, monsieur, par gouverner des serpents dans l’île Sainte-Lucie[1] ; vous civilisez actuellement des loups-cerviers[2] : je suis persuadé que vous parviendrez à les métamorphoser en hommes.

Je souhaite que vous puissiez changer ainsi vos montagnes en terres fertiles, et que vous fassiez ce que les Arabes et les Romains n’ont pu faire.

On dit qu’il y a quelques bons cantons dans votre île, et que vous avez d’excellent gibier, mais que la Corse ne sera jamais une terre à froment. Je m’en rapporte à vous, monsieur ; vous y ferez sûrement tout le bien qui peut s’y faire. Je serai attaché jusqu’au dernier moment de ma vie à l’homme supérieur, à l’homme

  1. Voyez tome XLV, page 82.
  2. Les habitants de l’île de Corse, dont Chardon était intendant.