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CORRESPONDANCE.

colons ; ils travaillèrent. M. le duc de Choiseul eut même la générosité d’acheter plusieurs de leurs montres. Ils en fournissent actuellement en Espagne, en Italie, en Hollande, en Russie, et font entrer de l’argent dans le royaume. Les choses ont changé depuis ; mais j’espère que vos bontés pour moi ne changeront point, et que vous voudrez bien protéger ma colonie comme M. le duc de Choiseul la protégeait. Je lui dois tout. Je serai pénétré jusqu’au dernier moment de ma vie de la reconnaissance respectueuse que je lui dois, et de l’admiration que la noblesse de son caractère m’a toujours inspirée.

Vous approuvez mes sentiments, monseigneur ; vous avez intérêt, plus que personne, que l’on ne soit point ingrat.

Accablé de vieillesse et de maladies, près de finir ma carrière, je vous implore bien moins pour moi que pour les artistes qui se sont habitués à Ferney, et qui sont utiles à l’État, auquel je suis très-inutile. J’ai l’honneur d’être, avec un profond respect, etc.

8283. — À MADAME LA DUCHESSE DE CHOISEUL.
À Ferney, 13 mai

Madame, je vous prie de lire et de faire lire la copie de la lettre à M. le duc de La Vrillière[1]. Vous y verrez une très-petite partie de mes sentiments, et mon principal objet a été de les lui manifester : car assurément je n’insiste point sur ce qu’il m’en a coûté pour retirer le vaisseau amiral d’esclavage.

La colonie que j’avais établie sous la protection de M. le duc de Choiseul, et sous la vôtre, sera bientôt détruite ; je serai entièrement ruiné, et je m’en console avec beaucoup d’honnêtes gens. Près de finir ma carrière, je regrette fort peu les vanités de ce monde.

Permettez-moi seulement de vous dire, madame, que mes derniers sentiments seront ceux de la reconnaissance que je vous dois, de mon admiration pour votre caractère comme pour celui de Barmécide, de mon respect et de mon attachement inviolable pour tous deux ; c’est ma profession de foi, et rien ne m’en fera changer. Je mourrai aussi fidèle à la foi que je vous ai jurée qu’à ma juste haine contre des hommes qui m’ont persécuté tant qu’ils ont pu, et qui me persécuteraient encore s’ils étaient

  1. Lettre 8282.