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ANNÉE 1771.

Je me mets aux pieds de Votre Majesté avec le plus profond respect.

Je reçois dans ce moment la lettre dont Votre Majesté m’honore, du 19 mars. Oui, sans doute, vous êtes un auteur grave, et très-grave, quoique votre imagination soit très-riante.

Je voudrais bien que tout s’accommodât, pourvu que ma princesse donnât la liberté aux dames du sérail, et des fêtes sur le Bosphore ; je ne prétends point du tout à ses odalisques : c’est la récompense de ses braves guerriers. Je suis plus près d’avoir un rendez-vous avec d’Argens qu’avec les demoiselles du harem de Moustapha. Vous appelez d’Argens votre maréchal des logis, mais il s’y prend de trop bonne heure ; vous ne vivrez pas aussi longtemps que votre gloire, mais je suis très-sûr que votre feu en quoi consiste la vie, et votre régime en quoi consiste toute la médecine, vous feront un jour le doyen des rois de ce monde, après en avoir été l’exemple.

Il se pourrait bien qu’en effet on rendît Avignon à Ganganelli, quoiqu’il soit très-ridicule que ce joli petit pays soit démembré de la Provence ; mais il faut être bon chrétien. Ce comtat d’Avignon vaut assurément mieux que la Corse, dont l’acquisition ne vaut pas ce qu’elle a coûté.

8260. — À M. LE PRINCE DE BEAUVAU.
À Ferney, 5 avril.

Je me mets aux pieds de mon très-respectable confrère, qui veut bien m’appeler de ce nom[1]. Comme un chêne est le confrère d’un roseau, le roseau, en levant sa petite tête, dit très-humblement au chêne : Ceux de Dodone n’ont jamais mieux parlé. Il est vrai, illustre chêne, que vous n’avez point prédit l’avenir ; mais vous avez raconté le passé avec une noblesse, une décence, une finesse, un art admirable.

En parlant de ce que le roi a fait de grand et d’utile, vous avez trouvé le secret de faire l’éloge d’un ministre votre ami, dont les soins ont rendu le comtat d’Avignon à la couronne, subjugué et policé la Corse, rétabli la discipline militaire[2], et

  1. Je suis la ponctuation de toutes les éditions ; mais peut-être faut-il ponctuer ainsi : …m’appeler de ce nom, comme un chêne est le confrère d’un roseau. Le roseau, en levant, etc. (B.)
  2. Voici les termes du prince de Beauvau dans son discours de réception à l’Académie française : « Le roi, en adoptant les vues utiles que le progrès des lumières lui présente,