J’étais étonnée de ne point avoir de vos nouvelles, et j’allais vous en demander la raison quand j’ai reçu votre lettre du 16. Vous êtes donc mon confrère en aveuglement ?
Vous verrez incessamment tous les discours ; il y en eut un de M. Duclos, qui est ineffable ; c’est dommage qu’il ne soit pas imprimé, il ne s’en est jamais, je crois, prononcé en public de ce genre. En qualité d’historiographe, il fit l’histoire de l’Académie ; il voulut être aussi plaisant et aussi épigrammatique que l’abbé de Voisenon[2], mais ce fut l’âne qui imitait le petit chien ; il en rappela parfaitement la fable, ce qui tint lieu de celle de M. de Nivernois, qui, contre son ordinaire, n’en récita point.
Voilà les nouvelles que vous aurez de moi ; pour les autres, je ne les apprends que dans les gazettes ; on n’est pas assez pressé de les savoir pour qu’on ne puisse pas les attendre quatre ou cinq jours.
Quand vos neiges fondront, votre vue reviendra ; il n’en est pas ainsi de moi.
Adieu, mon cher Voltaire ; mettez-moi au fait de ce que je dois croire et de ce que je dois nier ou affirmer en sûreté de conscience.
Si vous passez, comme vous le dites, monsieur, au mois de juillet par notre hospice de Ferney avec Mme Dix-neuf ans, vous savez comme cette faveur sera sentie par ma nièce et par son oncle l’aveugle. J’espère qu’alors j’aurai des yeux : car jusqu’à présent l’été me rend la vue que je perds dans le temps des neiges. On ne peut mieux prendre son temps pour voir que quand Mme Dix-neuf ans passe.
Vous verrez ma petite colonie assez heureusement établie : celle de Versoy est un peu négligée à présent. Il me semble qu’on a trop étendu les idées de M. le duc de Choiseul. On a fait dépenser au roi six cent mille francs pour un port qui honorerait Brest ou Toulon, mais où il n’y aura jamais que deux ou trois barques. Au lieu de construire le port à l’embouchure de la