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ANNÉE 1771.

il faut supporter tous les maux du corps et de l’âme. Pour me consoler, je vous demande en grâce de m’envoyer vos deux discours[1]. En vérité, vous soutenez seul l’honneur des lettres, et je ne sais point d’homme plus nécessaire que vous.

8251. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Le 19 mars[2].

Quels agréments, quel feu tu possèdes encore !
Le couchant de tes jours surpasse leur aurore.
Quand l’âge injurieux mine et glace nos sens,
Nous perdons les plaisirs, les grâces, les talents :
Mais l’âge a respecté ta voix douce et légère ;
Pour le malheur des sots il fit grâce à Voltaire[3].


Ce petit compliment vous est dû, ou, pour mieux dire, c’est une merveille qui étonne l’Europe, ce sera un problème que la postérité aura peine à résoudre, que Voltaire, chargé de jours et d’années, a plus de feu, de gaieté, de génie, que cette foule de jeunes poëtes dont votre patrie abonde.

Votre impératrice sera sans doute flattée de l’épître que vous lui adressez[4]. Il est constant que ce sont des vérités ; mais il n’est donné qu’à vous de les rendre avec autant de grâces. J’ai été fort surpris de me voir cité[5] dans vos vers certes je ne présumais pas de devenir un auteur grave. Mon amour-propre vous en fait ses compliments. J’aurai bonne opinion de mes rapsodies tant que je les verrai enchassées dans les cadres que vous leur savez si bien faire.

J’en viens à ce Moustapha que je n’aime pas plus que de raison ; je ne m’oppose point à toutes les prétentions que vous pouvez former à son sérail ; je crois même que, Constantinople pris, votre impératrice pourra vous faire la galanterie de transporter le harem de Stamboul à Ferney pour votre usage. Il paraît cependant qu’il serait plus digne de ma chère alliée de donner la paix à l’Europe que d’allumer un embrasement général. Sans doute que cette paix se fera, que Moustapha en payera la façon : et la Grèce deviendra ce qu’elle pourra.

On se dit à l’oreille que la France a suscité ces troubles. On impute cette imprudente levée de boucliers des Ottomans aux intrigues d’un ministre

  1. Je ne sais ce que sont ces deux discours de d’Alembert, dont il est encore question dans la lettre 8263. (B.)
  2. Le 18 mars. (ŒEuvres posthumes.)
  3. Variante des Œuvres posthumes :

    Mais surchargé d’hivers, Voltaire est, à l’entendre,
    Tel qu’on dit le phénix, qui renaît de sa cendre.
  4. Voyez tome X, page 435.
  5. Vers 55 de l’Épître à Catherine, tome X, page 437.