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CORRESPONDANCE.

enfin de lui envoyer l’Épître au roi de Danemark[1], avec un peu de prose versifiée, adressée à lui-même[2]. Ce n’est pas trop le temps de s’occuper de ces coïonneries ; mais j’aime mieux m’égayer sur les excréments de la littérature que sur d’autres excréments.

Je supplie mon cher philosophe de ne donner aucune copie des fadaises à lui envoyées. Il peut les lire tant qu’il voudra à ses amis, mais il ne faut pas mettre le public dans sa confidence.

Voilà donc une quatrième place à remplir[3] ; donnez-la à qui vous voudrez ; pourvu que ce ne soit pas à ce fripon de nasillonneur[4], je suis content. Demandez à Lalande, qui est voisin de ses terres, s’il n’est pas célèbre dans le pays par les rapines les plus odieuses. M. de Condorcet pourrait-il succéder [5] à M. de Mairan ? Il n’a rien fait, dira-t-on ; tant mieux : nous avons plus besoin de gens qui jugent que de gens qui fassent.

Je n’ai rien à dire sur tout ce qui se passe aujourd’hui ; tout ce que je puis me permettre, c’est de détester du fond de mon cœur les assassins du chevalier de La Barre jusqu’au dernier moment de ma vie : c’est ainsi que je vous aimerai.

8229. — À M. D’ALEMBERT.
4 mars.

Je m’aperçois, mon cher philosophe, que je ressemble à Le Clerc de Montmercy, je fais trop de vers. Je vois, à ma confusion, que j’ai parlé deux fois des harpies : l’une, dans l’Épître au roi de Danemark ; l’autre, dans votre épître. Il y a dans la danoise :


Qui vous rendit chez vous puissants sans être impies ?
Qui sut, de votre table écartant les harpies,
Sauver le peuple et vous de leur voracité ?
Qui sut donner une âme au public hébété ?


Je mettrai à la place, si vous le trouvez bon :


Quelle main, favorable à vos grandeurs suprêmes
À du triple bandeau vengé cent diadèmes ;
Et qui, du fond du puits tirant la vérité,
À su donner une âme au public hébété[6] ?

  1. Tome X, page 421.
  2. Épître à d’Alembert, tome X, page 428.
  3. Mairan, membre de l’Académie française, venait de mourir le 20 février.
  4. Le président de Brosses.
  5. Le successeur de Mairan à l’Académie française fut l’abbé Arnaud.
  6. Voyez tome X, page 426.