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J’imagine qu’à présent vous avez quelques beaux jours à Paris, et que Mme d’Argental s’en trouve mieux. Je vous souhaite à tous deux tous les plaisirs, toutes les douceurs, tous les agréments possibles. Vous pouvez être toujours sûrs de ma bénédiction. Non-seulement je suis capucin, mais je suis si bien avec les autres familles de saint François que frère Ganganelli m’a fait des compliments.

Vraiment oui j’ai lu la Religieuse, et ce n’a pas été avec des yeux secs. Tout ce qui intéresse les couvents me touche jusqu’au fond de l’âme.

Recommandez-vous bien aux saintes prières de

Frère François, capucin indigne.
7830. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
18 mars.

Je reçois la lettre du 13 de mars, mon cher ange. Il n’y a point eu de retardement à celle-ci. Il faut que la première, du 27 de février, ait traîné dans quelque bureau ; ce qui arrive quelquefois.

Je ne suis pas assurément en état de travailler au Dépositaire pour le moment présent ; mais j’espère que Dieu m’exaucera quand j’aurai fait mes Pâques. Jamais temps ne fut plus favorable pour des restitutions de dépôt. J’espère que la grâce se fera entendre au cœur de M. l’abbé Terray. Voudrait-il m’enlever mon seul bien de patrimoine, que j’avais en dépôt dans la caisse de M. de La Borde, le seul bien qui puisse répondre à mes nièces des clauses de leurs contrats de mariage, le seul avec lequel je puisse récompenser mes domestiques ? Dans quel tribunal une telle action serait-elle admise ? en a-t-on un seul exemple, excepté dans les proscriptions de Sylla et du Triumvirat ? M. l’abbé Terray, qui sort de la grand’chambre, ne devrait-il pas distinguer entre ceux qui achètent du papier sur la place, et ceux qui déposent chez le banquier du roi leur bien paternel ? Je vois bien qu’il faudra que je meure en capucin, tel que j’aurai vécu.

Dès que j’aurai chassé ces tristes idées de ma cervelle encapuchonnée, et que ma chèvre aura mis un peu de douceur dans mon sang, je vous parlerai de Ninon ; je vous dirai qu’elle ne serait pas Ninon si elle ne formait pas les jeunes gens, et qu’alors il faudrait lui donner tout un autre nom. Le plaisant et l’utile, à mon gré, est qu’une coquette soit cent fois plus vertueuse qu’un marguillier, sans quoi il n’y a plus de pièce.