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ANNÉE 1770.

Bien des respects et des regrets à votre très-aimable compagnon de voyage, autant à M. Duché, à M. Venel, et à quiconque pense. Mme Denis vous fait les plus tendres compliments. Mon cœur est à vous jusqu’au moment où j’irai trouver Damilaville.

8056. — À M. COLINI.
Ferney, 20 octobre.

Je reçus il y a quelques jours, mon cher ami, le grand médaillon[1], et je n’ai pu vous en remercier plus tôt. J’ai vu le moment où il ne restait de moi que ces monuments dont je suis très-indigne. Je profite des moments de relâche que mes maux me donnent pour vous dire que je ne veux point quitter cette vie sans vous donner quelque petit témoignage de ma tendre amitié pour vous. V.

8057. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
21 octobre.

M. Crawford, madame, a quelquefois de petites velléités de sortir de la vie, quand il ne s’y trouve pas bien ; et il a grand tort, car ce n’est pas aux gens aimables de se tuer : cela n’appartient qu’aux esprits insociables comme Caton, Brutus, et à ceux qui ont été enveloppés dans la banqueroute du porteur de cilice Billard[2]. Mais pour les gens de bonne compagnie, il faut qu’ils vivent, et surtout qu’ils vivent avec vous.

Vous demandez si je suis à peu près heureux : il n’y a en effet en ce genre que des à-peu-près ; mais quel est votre à-peu-près, madame ? Vous avez perdu deux yeux que j’ai vus bien beaux il y a trente ans ; mais vous avez conservé des amis, de l’esprit, de l’imagination, et un bon estomac. Je suis beaucoup plus vieux que vous, je ne digère point, je deviens sourd, et voilà les neiges du mont Jura qui me rendent aveugle cela est à peu près abominable.

Je ne puis ni rester à Ferney ni le quitter. Je me suis avisé d’y fonder une colonie, et d’y établir deux belles manufactures de

  1. Colini, après avoir communiqué son projet à Voltaire, était parvenu, à l’aide de sa mémoire et de plusieurs portraits de Voltaire en profil, à faire exécuter au sculpteur Linck le médaillon en plâtre, de grandeur naturelle, du philosophe de Ferney. Il en avait envoyé un à Voltaire.
  2. Voyez tome VIII, page 536.