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ANNÉE 1770.

Todtleben s’est emparé d’Erzeroum. Je vous ai informé, je pense, que sa dernière conquête était la ville de Cotatis. On ne va pas si vite en guerre, parce qu’il faut faire deux repas par jour, et que, pour que cela se fasse, il faut avoir ou trouver de quoi.

Je veux sincèrement la paix, non parce que les ressources me manquent pour faire la guerre, mais parce que je hais l’effusion du sang humain. Si M. Moustapha fait de l’opiniâtre, j’espère qu’il nous trouvera, l’année qui vient, partout où nous pourrons le persuader qu’il vaut mieux céder aux circonstances pour sauver son empire que de pousser l’entêtement jusqu’à l’extrémité.

Les Grecs, les Spartiates, ont bien dégénéré ; ils aiment la rapine mieux que la liberté. Ils sont à jamais perdus s’ils ne profitent point des dispositions et des conseils du héros que je leur ai envoyé. Je ne parle point des Vénitiens je trouve qu’il n’y a que le pape et le roi de Sardaigne qui aient du mérite en Italie.

Soyez assuré, monsieur, qu’on ne saurait sentir plus de satisfaction que j’en ressens chaque fois que je reçois de vos lettres ; elles contiennent tant de témoignages de votre amitié que je ne puis que vous en être très-obligée.

Catherine.

P. S. Dans ce moment on vient de m’apporter la nouvelle que Belgorod, en turc Akkermann, sur le Dniester, s’est rendu le 26 de septembre par capitulation. Bientôt, je pense, vous entendrez parler de votre Brahilow.

8045. — À M. LE BARON GRIMM.
De Ferney, 10 octobre.

Mon cher prophète, je suis le bon homme Job ; mais j’ai eu des amis qui sont venus me consoler sur mon fumier, et qui valent mieux que les amis de cet Arabe. Il est très-peu de gens de ces temps-là, et même de ces temps-ci, qu’on puisse comparer à M. d’Alembert et à M. de Condorcet. Ils m’ont fait oublier tous mes maux. Je n’ai pu malheureusement les retenir plus longtemps. Les voilà partis, et je cherche ma consolation en vous écrivant autant que mon accablement peut me le permettre.

Ils m’ont dit, et je savais sans eux, à quel point les Welches sont déchaînés contre la philosophie. Voici le temps de dire aux philosophes ce qu’on disait aux sergents, et ce que saint Jean[1] disait aux chrétiens : « Mes enfants, aimez-vous les uns les autres ; car qui diable vous aimerait ? »

Ce maudit Système de la Nature a fait un mal irréparable. On ne veut plus souffrir de cornes dans le pays, et les lièvres sont

  1. Épîtres, chapitre iv, verset 7.