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Vernet de ne pas faire comme ce philosophe dont parle Tacite[1], d’aller se mettre entre les deux armées, bona pacis et belli mala disserens ? Il y attraperait quelque coup de fusil ou de broche, et ce serait grand dommage.

Oui vraiment je sais que vous êtes devenu capucin, et je vous fais mon compliment sur cette nouvelle dignité séraphique. Ne vous avisez pas au moins de vous faire jésuite, surtout en Bretagne, car ils y sont actuellement très-malmenés, et on vient de les en chasser pour prix des troubles qu’ils y excitent depuis trois ou quatre ans. Le roi de Prusse me mande[2] qu’il est le meilleur ami du cordelier pape[3], et que le successeur de Barjone le regarde, tout hérétique qu’il est, comme le soutien de sa garde prétorienne, ignatienne, que les autres majestés très-chrétienne et très-catholique voudraient lui faire chasser. Je ne doute point que le nouveau sujet de frère Amatus d’Alamballa ne devienne bientôt aussi le meilleur ami du frère Ganganelli. Si vous allez jamais lui baiser les pieds et servir sa messe, avertissez-moi, je vous prie, car je veux au moins l’aller sonner.

On est bien plus occupé en ce moment du contrôleur général[4] et de ses opérations (vraiment chirurgicales) que de l’assemblée du clergé. Je ne doute point que cette assemblée ne se passe, comme toutes les autres, à payer, à clabauder, et à se faire moquer d’elle. Quand on aura son argent, on lui dira comme Harpagon : « Nous n’avons que faire de vos écritures[5] » ; et tout le monde s’en ira content.

Oui, j’ai lu la Religieuse[6] de La Harpe, et je trouve qu’il n’a rien fait qui en approche. Ne pensez-vous pas de même ? Adieu, mon cher et illustre ami ; croyez que je suis et serai toujours tuus ex animo.

Que dites-vous des Géorgiques[7] de l’abbé Delille et du livre de l’abbé Galiani ?

7817. À CATHERINE II,
impératrice de russie.
À Ferney, 10 mars.

Madame, j’aurais eu l’honneur de remercier plus tôt Votre Majesté impériale, si je n’avais pas été cruellement malade. Je n’ai pas la force de vos sujets, il s’en faut de beaucoup. Je me flatte surtout qu’ils auront celle de continuer à bien battre les Turcs.

Votre Majesté m’a dit un grand mot : Je ne manque ni

  1. Histoires, iii. 81.
  2. La lettre du roi de Prusse est du 8 janvier 1770.
  3. Clément XIV.
  4. L’abbé Terray.
  5. L’Avare, acte V, scène vi.
  6. Mélanie.
  7. Voyez lettres 8200 et 8230.