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ANNÉE 1770.

Si vous daignez lire mon rogation théologique, je vous prie d’être bien persuadée que je ne crois point du tout à la Providence particulière ; les aventures de Lisbonne et de Saint-Domingue[1] l’ont rayée de mes papiers.

On dit que les Turcs ont assassiné votre ambassadeur de France : cela serait fort triste ; mais le grand Être n’entre pas dans ces détails.

Pardonnez, madame, au vieux bavard, qui est à vos pieds avec le plus profond respect.


8015. – À M. LE MARQUIS D’ARGENCE DE DIRAC.
À Ferney, 3 septembre.

Vous me me mandez point, mon cher philosophe militaire, où vous logez à Paris. Je hasarde ma réponse à l’hôtel d’Entragues, où il mee semble que vous étiez à votre dernier voyage. Vous sentez bien qu’il ne convient guère à un vieux pédant comme moi d’oser me mêler des affaires des colonels, et que cette indiscrétion de ma part servirait plutôt à reculer vos affaires qu’a les avancer.

Horace dit[2] qu’il faut que chacun reste dans sa peau ; mais je tâcherai de trouver quelque ouverture pour me mettre à portée de parler de vous comme je le dois, et de satisfaire mon cœur. Je regarderai d’ailleurs cette démarche comme une des clauses de mon testament : car j’approche tout doucement du moment où les philosophes et les imbéciles ont la même destinée. Je suis furieusement tombé, et il n’y a plus de société pour moi. La vôtre seule me serait précieuse, si l’état où je suis me permettait d’en jouir aussi agréablement qu’autrefois. Je n’ai plus guère que des sentiments à vous offrir ; car, pour les idées, elles s’enfuient. L’esprit s’affaiblit avec le corps ; les souffrances augmentent, et les pensées diminuent ; tout le monde en vient là ; il n’y a que du plus ou du moins. Il faut avouer que nous sommes de pauvres machines ; mais il est bon d’avoir fait sa provision de philosophie et de constance pour les temps d’affaiblissement : on arrive au tombeau d’un pas plus ferme et plus délibéré. Jouissez de la santé, sans laquelle il n’y a rien ; établissez messieurs vos enfant ; vivez, et vivez pour

  1. Voyez la note 2, page 166.
  2. Livre I, satire vi, vers 22.