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ne penserai jamais à la calomnie du linge donné à blanchir à la blanchisseuse[1], à cette calomnie insipide qui m’a été mortelle, et à tout ce qui s’en est suivi, qu’avec une douleur qui empoisonnera mes derniers jours. Mais tout ce que m’apprend d’Alembert des bontés de Votre Majesté est un baume si puissant sur mes blessures que je me suis reproché cette douleur, qui me poursuit toujours. Pardonnez-la à un homme qui n’avait jamais eu d’autre ambition que de vivre et de mourir auprès de vous, et qui vous est attaché depuis plus de trente ans.

Il y a plusieurs copies de votre admirable ouvrage : permettez qu’on l’imprime dans quelque recueil, ou à part[2], car sûrement il paraîtra, et sera imprimé incorrectement. Si Votre Majesté daigne me donner ses ordres, l’hommage du philosophe de Sans-Souci à la Divinité fera du bien aux hommes. Le roi des déistes confondra les athées et les fanatiques à la fois : rien ne peut faire un meilleur effet.

Daignez agréer le tendre respect du vieux solitaire V.

8000. — À MADAME LA DUCHESSE DE CHOISEUL.
À Ferney, 20 auguste.

Madame, après tout ce que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, j’ai vu tant de justesse d’esprit que je vous ai crue philosophe ; passez-moi ce mot. Votre petite-fille me paraît un peu dégoûtée de la métaphysique ; je lui pardonne aisément ce dégoût. La métaphysique n’est d’ordinaire que le roman de l’âme, et ce roman n’est pas si amusant que celui des Mille et une Nuits. Vous m’avouerez du moins, madame, que le sujet qu’on traite dans la petite brochure[3] qu’on met à vos pieds est assez intéressant ; chacun y est pour sa part ; et cette part est tout son être. Cela est un peu plus important que les tracasseries dont on s’entretient si profondément à Paris et à Versailles. Je n’ose demander que, dans un moment de loisir, vous daigniez, madame, me dire en deux mots ce que vous en pensez ; je ne veux que deux mots, car vous êtes si occupée à servir l’Être suprême, en faisant du bien, que vous n’avez guère le temps d’exa-

  1. Allusion au propos que Maupertuis prêtait à Voltaire ; voyez tome XXXVII, page 451 ; et le Commentaire historique.
  2. Il ne paraît pas que l’Examen, dont il est question ici, ait été imprimé du vivant de Frédéric ; voyez une note sur la lettre 8025.
  3. Intitulée Dieu ; voyez la note 1 de la page 153.