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y attachons, petits par le peu d’utilité dont ils sont pour nous, comme le prouve leur obscurité même. L’essentiel serait de se bien porter, soit en ce monde, soit en l’autre ; mais hoc opus, hic labor est[1]. Adieu, mon cher ami ; je me fais d’avance un plaisir de l’espérance de vous embrasser encore.

7985. — À M. DORAT.
À Ferney, le 6 auguste.

J’ignore, monsieur, et je veux ignorer quel est le sot ou le fripon, ou celui qui, revêtu de ces deux caractères, a pu vous dire que j’étais l’auteur des Anecdotes sur Fréron[2] ; il aura pu dire avec autant de vraisemblance que j’ai fait Guzman d’Alfarache[3]. Je n’ai jamais, Dieu merci, ni vu ni connu ce misérable Fréron ; je n’ai jamais vu aucune de ses rapsodies, excepté une demi-douzaine que je tiens de M. Lacombe ; je sais seulement que c’est un barbouilleur de papier complètement déshonoré.

Je ne connais pas plus ses prétendus croupiers que sa personne. Je suis absent de Paris depuis plus de vingt ans, et je n’y ai jamais fait, avant ce temps, qu’un séjour très-court. L’auteur des Anecdotes sur Fréron dit qu’il a été très-lié avec lui ; j’ai essuyé bien des malheurs en ma vie, mais j’ai été préservé de celui-là.

Je n’ai jamais vu M. l’abbé de La Porte, dont il est tant parlé dans ces Anecdotes. On dit que c’est un fort honnête homme, incapable des horreurs dont Fréron est chargé par tout le public.

Vous sentez, monsieur, qu’il est impossible que j’aie vu Fréron au café de Viseu, dans la rue Mazarine. Je n’ai jamais fréquenté aucun café, et j’apprends pour la première fois, par ces Anecdotes, que ce café de Viseu existe ou a existé.

Il est de même impossible que je sache quels sont les marchés de Fréron avec les libraires, et tous les vils détails des friponneries que l’auteur lui reproche.

Il serait absurde de m’imputer la forme et le style d’un tel ouvrage.

Vous vous plaignez que votre nom se trouve parmi ceux que l’auteur accuse d’avoir travaillé avec Fréron : ce n’est pas assurément ma faute. Tout ce que je puis vous dire, c’est que vous me semblez avoir tort d’appeler cela un affront, puisque vous

  1. Æn., VI, 129.
  2. Dans les Anecdotes sur Fréron (voyez tome XXIV, page 186), Dorat est mis au nombre des croupiers de Fréron.
  3. Roman espagnol de Matthieu Aleman, traduit par Chapelain, puis par Bremond, puis imité par Lesage.