Il me semble que vos remarques doivent être imprimées : ce sont des leçons pour le genre humain. Vous soutenez d’un bras la cause de Dieu, et vous écrasez de l’autre la superstition. Il serait bien digne d’un héros d’adorer publiquement Dieu, et de donner des soufflets à celui qui se dit son vicaire. Si vous ne voulez pas faire imprimer vos remarques dans votre capitale, comme Kien-long vient de faire imprimer ses poésies à Pékin, daignez m’en charger, et je les publierai sur-le-champ.
L’athéisme ne peut jamais faire aucun bien, et la superstition a fait des maux à l’infini : sauvez-nous de ces deux gouffres. Si quelqu’un peut rendre ce service au monde, c’est vous.
Non-seulement vous réfutez l’auteur, mais vous lui enseignez la manière dont il devait s’y prendre pour être utile.
De plus, vous donnez sur les oreilles à frère Ganganelli et aux siens ; ainsi, dans votre ouvrage, vous rendez justice à tout le monde. Frère Ganganelli et ses arlequins devaient bien savoir avec le reste de l’Europe de qui est la belle préface de l’Abrégé de Fleury. Leur insolence absurde n’est pas pardonnable. Vos canons pourraient s’emparer de Rome, mais ils feraient trop de mal à droite et à gauche : ils en feraient à vous-même, et nous ne sommes plus au temps des Hérules et des Lombards, mais nous sommes au temps des Kien-long et des Frédéric. Ganganelli sera assez puni d’un trait de votre plume ; Votre Majesté réserve son épée pour de plus belles occasions.
Permettez-moi de vous faire une petite représentation sur l’intelligence entre les rois et les prêtres, que l’auteur du Système reproche aux fronts couronnés et aux fronts tonsurés. Vous avez très-grande raison de dire qu’il n’en est rien, et que notre philosophe athée ne sait pas comment va aujourd’hui le train du monde. Mais c’est ainsi, messeigneurs, qu’il allait autrefois ; c’est ainsi que vous avez commencé ; c’est ainsi que les Albouin, les Théodoric, les Clovis, et leurs premiers successeurs, ont manœuvré avec les papes. Partageons les dépouilles, prends les dîmes, et laisse-moi le reste ; bénis ma conquête, je protégerai ton usurpation : remplissons nos bourses ; dis de la part de Dieu qu’il faut m’obéir, et je te baiserai les pieds. Ce traité a été signé du sang des peuples par les conquérants et par les prêtres. Cela s’appelle les deux puissances.
Ensuite les deux puissances se sont brouillées, et vous savez ce qu’il en a coûté à votre Allemagne et à l’Italie. Tout a changé enfin de nos jours. Au diable s’il y a deux puissances dans les États de Votre Majesté et dans le vaste empire de Catherine II !