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CORRESPONDANCE.

Ne croyez point que je coure le monde, je ne sors que pour souper, et je ne soupe que chez mes connaissances les plus particulières. Je ne dis pas chez mes amis : ah ! monsieur de Voltaire, y en a-t-il dans le monde ? Vous avez des adorateurs, et en grand nombre ; mais croyez-vous avoir beaucoup d’amis ? Ne faites point usage de ceci contre moi ; je dois être exceptée de la thèse générale, et par vous plus que par qui que ce soit.

7780. — À M. DE JARDIN[1].
À Ferney, 15 février.

Vous avez bien voulu, monsieur, servir de tuteur à M. Durey de Morsan. Je partage cet emploi depuis une année entière. Mme de Sauvigny m’ayant chargé, par deux de ses lettres, de le voir et de lui parler, j’exécutai ses ordres. Je sus qu’il ne touchait deux mille écus de revenu que depuis peu de temps, et qu’il avait fait quelques dettes à Neuchâtel : je payai les dettes qui vinrent à ma connaissance ; je l’ai gardé chez moi pendant une année entière, et je puis assurer toute sa famille que, pendant cette année, il s’est conduit avec la plus grande circonspection. Il m’a paru qu’il sentait ses fautes, et qu’il voulait passer le reste de sa vie à les réparer. Il est nécessaire que sa conduite ne fasse jamais rougir sa famille.

Premièrement il a quelques dettes criardes à payer ; en second lieu, il doit donner à sa fille naturelle, qui est dans la misère, un secours dont elle a besoin ; il faut aussi qu’il aide un peu une demoiselle Nollet, nièce de M. l’abbé Nollet, de l’Académie des sciences, qui va se marier convenablement ; elle lui est attachée depuis plus de dix années, sans que jamais elle ait eu d’appointements. Une légère somme, en cette occasion, est la moindre chose qu’il puisse faire. Tout cela doit être pris sur les six mille livres d’extraordinaire que lui donne la commission nommée juridiquement pour payer ses dettes.

Je présume que ces détails monteront à cent louis d’or ou environ : il en restera assez pour acheter les meubles nécessaires, et le faire subsister honorablement à Neuchâtel, avec sa pension de deux mille écus, qui doit augmenter avec le temps.

Il est convenable que le frère de Mme de Sauvigny jouisse de quelque considération dans la retraite qu’il s’est choisie.

J’ai tout lieu de me flatter que sa famille et lui seront entiè-

  1. Greffier en chef du Châtelet, et tuteur de Durey de Morsan, comme le dit Voltaire dans la lettre 7783.