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CORRESPONDANCE.

fausses couches avant de mettre ces deux enfants au monde. On prétend encore qu’ils ne sont pas entièrement sains, et qu’ils ont toujours quelques petites maladies ; mais ils s’en tirent avec du régime.

Je vous admire, mon cher Lorrain, quand je lis ces paroles[1] : « Qu’y a-t-il de plus beau et de plus admirable que de tirer, d’un principe même qui peut mener au vice, la source du bien et de la félicité publique ? »

On dit que vous faites aussi aux Welches l’honneur d’écrire en vers dans leur langue ; je voudrais bien en voir quelques-uns. Expliquez-moi comment vous êtes parvenu à être poëte, philosophe, orateur, historien, et musicien. On dit qu’il y a dans votre pays un génie qui apparaît les jeudis à Berlin, et que, dès qu’il est entré dans une certaine salle, on entend une symphonie excellente, dont il a composé les plus beaux airs. Le reste de la semaine il se retire dans un château bâti par un nécroman : de là il envoie des influences sur la terre. Je crois l’avoir aperçu, il y a vingt ans ; il me semble qu’il avait des ailes, car il passait en un clin d’œil d’un empire à un autre. Je crois même qu’il me fit tomber par terre d’un coup d’aile.

Si vous le voyez ou sur un laurier ou sur des roses (car c’est là qu’il habite), mettez-moi à ses pieds, supposé qu’il en ait, car il ne doit pas être fait comme les hommes. Dites-lui que je ne suis pas rancunier avec les génies. Assurez-le que mon plus grand regret à ma mort sera de n’avoir pas vécu à l’ombre de ses ailes, et que j’ose chérir son universalité avec l’admiration la plus respectueuse.

7771. — À CATHERINE II.
impératrice de russie.
À Ferney, 2 février.

Madame, Votre Majesté daigne m’apprendre que les hospodars de Valachie et de Moldavie ne feront pas leur carnaval à Venise ; mais Votre Majesté ne pourrait-elle pas les faire souper avec quelque amiral de Tunis et d’Alger ? On dit que ces animaux d’Afrique se sont approchés un peu trop près de quelques--

  1. C’est un passage de l’Essai sur l’amour-propre envisagé comme principe de morale, opuscule de Frédéric, publié en 1770, in-8°, et qui fait partie de ses Œuvres (primitives).