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CORRESPONDANCE.

n’a veine qui tende à le faire un héros, et que ma véritable héroïne, l’impératrice de Russie, y a mis bon ordre, je ne crois pas que j’entreprenne cette conversion turque. Je m’en tiens aux princes et aux princesses du Nord, qui me paraissent plus éclairés que tout le sérail de Constantinople.

Je ne réponds autre chose à l’auteur qui m’impute cette belle lettre à Votre Majesté, que ces quatre lignes-ci :

« J’ai vu dans le Whitehall Evening-Post, du 7 octobre 1769, no 3668, une prétendue lettre de moi à Sa Majesté le roi de Prusse : cette lettre est bien sotte ; cependant je ne l’ai point écrite. Fait à Ferney, le 20 octobre 1769.

« Voltaire. »

Il y a partout, sire, de ces esprits également absurdes et méchants, qui croient ou qui font semblant de croire qu’on n’a point de religion quand on n’est pas de leur secte. Ces superstitieux coquins ressemblent à la Philaminte des Femmes savantes de Molière ; ils disent[1] :

Nul ne doit plaire à Dieu que nous et nos amis.

J’ai dit quelque part[2] que La Mothe Le Vayer, précepteur du frère de Louis XIV, répondit un jour à un de ces maroufles : « Mon ami, j’ai tant de religion que je ne suis pas de ta religion. »

Ils ignorent, ces pauvres gens, que le vrai culte, la vraie piété, la vraie sagesse, est d’adorer Dieu comme le père commun de tous les hommes sans distinction, et d’être bienfaisant.

Ils ignorent que la religion ne consiste ni dans les rêveries des bons quakers, ni dans celles des bons anabaptistes ou des piétistes, ni dans l’impanation et l’invination, ni dans un pèlerinage à Notre-Dame de Lorette, à Notre-Dame des Neiges, ou à Notre-Dame des Sept Douleurs ; mais dans la connaissance de l’Être suprême, qui remplit toute la nature, et dans la vertu.

Je ne vois pas que ce soit une piété bien éclairée qui ait refusé aux dissidents de Pologne les droits que leur donne leur naissance, et qui ait appelé les janissaires de notre saint-père le Turc au secours des bons catholiques romains de la Sarmatie.

  1. C’est Armande (et non Philaminte), qui, dans les Femmes savantes, acte III, scène ii, dit :

    Nul n’aura de l’esprit, hors nous et nos amis.

  2. Voyez tome XXVI, page 499.