Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome46.djvu/458

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
448
CORRESPONDANCE.

très-grossièrement, et avec une impropriété de langage qui révolte.

Vous savez quel brigandage a régné dans la campagne des Indes et au Canada ; il n’y en a pas moins dans la république des lettres. Voilà ce qui m’avait déterminé à sortir de France, et si j’y suis rentré, ce n’est pas bien avant. Vos bontés me consolent de tout.

Agréez le tendre respect de votre vieux serviteur, qui sera pénétré pour vous tant qu’il vivra de son inutile et inviolable attachement.

7664. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
16 septembre.

Je réponds, mon cher ange, à vos lettres du 4 et du 9. Vous devez actuellement avoir reçu, par M. Marin, la tragédie des Guèbres, avec les additions que le jeune auteur a faites.

Lekain a joué à Toulouse Tancrède, Zamore, et Hérode, avec le plus grand succès. La salle était remplie à deux heures. On dit la troupe tort bonne ; plusieurs amateurs ont fait une souscription assez considérable pour la composer. Cette troupe a donné Athalie avec la musique des chœurs, et on demande des chœurs pour toutes mes pièces. Les spectacles adoucissent les mœurs ; et, quand la philosophie s’y joint, la superstition est bientôt écrasée. Il s’est fait depuis dix ans, dans toute la jeunesse de Toulouse, un changement incroyable. Sirven s’en trouvera bien ; il verra que votre idée de venir se défendre lui-même était la meilleure ; mais plus il a tardé, plus il trouvera les esprits bien disposés. Vous voyez qu’à la longue les bons livres font quelque effet, et que ceux qui ont contribué à répandre la lumière n’ont pas entièrement perdu leur peine.

On me presse pour aller passer l’hiver à Toulouse. Il est vrai que je ne peux plus supporter les neiges qui m’ensevelissent pendant cinq mois de suite, au moins ; mais il se pourra bien faire que Mme Denis vienne affronter auprès de moi les horreurs de nos frimas, et celles de la solitude et de l’ennui, avec un pauvre vieillard qu’il est bien difficile de transplanter.

M. de Ximenès m’a mandé que M. le maréchal de Richelieu avait mis les Guèbres sur le répertoire de Fontainebleau ; je crois qu’il s’est trompé, car M. de Richelieu ne m’en parle pas. Il a assez de hauteur dans l’esprit pour faire cette démarche, et ce serait un grand coup. Les tribuns militaires vont au spectacle, et