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ANNÉE 1769.
7603. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
22 juillet.

Mon cher ange, sur votre lettre du 13, je vous renvoie à Mme Denis. Je lui ai confié une partie du mystère d’iniquité ; je ne l’ai su que par elle. En vérité tout est un jeu de hasard dans ce monde, ou peu s’en faut.

La duchesse, bonne imbécile, consulte Mme Denis sur un recueil de mes lettres[1] qu’on lui a vendu, et qu’elle veut imprimer. Je ne reçois ce beau recueil par Mme Denis que le 19 du mois. Je vois alors qu’on m’a volé beaucoup de manuscrits, et entre autres ces lettres, peu faites assurément pour voir le jour, et un gros manuscrit de recherches sur l’histoire, par ordre alphabétique. La lettre P était fort ample[2]. On s’en est servi, on a suppléé, on a ajouté, on a broché, brodé comme on a pu ; on a vendu le tout.

L’auteur[3] de toute cette manœuvre m’est assez connu, mais je dois absolument me taire. On me dirait : « Vous avouez qu’on vous a volé ces lettres : donc elles sont de vous ; vous avouez qu’on vous a volé le recueil P : donc il est de vous. » De plus, que de noirceurs nouvelles on ajouterait à la première ! on ne s’arrête pas dans le chemin du crime. Cette affaire deviendrait un labyrinthe horrible dont je ne pourrais me tirer. Je n’ai que la certitude entière qu’on a trahi l’hospitalité. Je n’ai point de preuves juridiques, et, quand j’en aurais, elles ne serviraient qu’à me plonger dans un abîme, et les cagots m’y égorgeraient à leur plaisir.

Je n’ai donc d’autre parti à prendre que celui de me justifier sans accuser personne. Je vous jure, mon cher ange, que je n’ai pas la moindre petite part à ces derniers chapitres. Je les trouve croqués, plats, faux, ridicules, insolents, et je le dis, et je ferai encore plus.

Ce petit mot écrit a M. Marin[4] me paraît déjà un léger appareil sur la blessure qu’on m’a faite. Il me semble qu’on ne peut trop faire courir mon billet à M. Marin chez les personnes inté-

  1. Je n’ai pas connaissance que ce recueil de lettres ait été imprimé. (B.)
  2. L’Histoire du Parlement de Paris.
  3. Voltaire veut parler de La Harpe, qui, en 1768, lui avait dérobé quelques manuscrits voyez tome XXVII, page 17) ; mais La Harpe n’était pour rien dans la publication de l’Histoire du Parlement.
  4. La lettre 7583.