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ANNÉE 1769.

je vous demande votre protection ; elle ne coûtera rien ni à Sa Sainteté, ni à Votre Éminence, ni à moi ; il ne s’agit que de la permission de porter la perruque. Ce n’est pas pour mon vieux cerveau brûlé que je demande cette grâce ; c’est pour un autre vieillard (ci-devant soi-disant jésuite[1], ne vous en déplaise), lequel me sert d’aumônier.

Ferney est, comme Alby, auprès des montagnes, mais notre hiver est incomparablement plus rude que celui d’Alby. Je vois de ma fenêtre quarante lieues de la partie des Alpes qui est couverte d’une neige éternelle. Les Russes qui sont venus chez moi m’ont avoué que la Sibérie est un climat plus doux que le mien, aux mois de décembre et de janvier. Nos curés, qui sont nés dans le pays, peuvent supporter l’horreur de nos frimas ; et, quoiqu’ils soient tous des têtes à perruques, ils n’en portent cependant pas ; ils ont même fait vœu d’être chauves en disant la messe. Mon aumônier est Lorrain, il a été élevé en Bourgogne, il n’a point fait le vœu de s’enrhumer ; il est malade, et sujet à de violents rhumatismes ; il priera Dieu de tout son cœur pour Votre Éminence si vous voulez bien avoir la bonté d’employer l’autotorité du vicaire de Jésus-Christ pour couvrir le crâne de ce pauvre diable.

Je ne vous cacherai point que notre évêque d’Annecy est un fanatique, un homme à billets de confession, à refus de sacrements. Il a été vicaire de paroisse à Paris, et s’y est fait des affaires pour ses belles équipées : en un mot, j’ai besoin de toute la plénitude du pouvoir apostolique pour coiffer celui qui me dit la messe. Je ne puis avoir d’autre aumônier que lui ; il est à moi depuis près de dix ans ; il me serait impossible d’en trouver un autre qui me convînt autant. Je vous aurai une très-grande obligation, monseigneur, si vous daignez m’envoyer le plus tôt qu’il sera possible un beau bref à perruque.

Je ne sais si vous avez continué monsieur l’archevêque de Chalcédoine dans son poste de secrétaire des brefs[2] : je me doute que non ; mais, qui que ce soit qui ait cette place, j’imagine qu’il est votre secrétaire.

Votre Éminence gouverne Rome et la barque de saint Pierre,

  1. Le Père Adam ; voyez tome XXVII, page 408. La demande fut accordée ; voyez lettre 7601.
  2. Il paraît que non ; car dans la lettre 7619 on voit que c’était l’évêque de Philippopolis qui avait signé le bref relatif à la demande du Père Adam de porter perruque en disant la messe.