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ANNÉE 1769.

entouré de vingt gros diamants, avec la plus belle pelisse du Nord et un code de lois aussi admirable que notre jurisprudence française est impertinente. On parle français à Moscou et en Ukraine. Ce n’est ni le parlement de Paris ni la Sorbonne qui a établi des chaires de professeurs en notre langue dans ces pays autrefois si barbares. Peut-être y ai-je un peu contribué. Permettez-moi d’avoir quelque condescendance pour un empire de deux mille lieues d’étendue, où je suis aimé, tandis que je ne suis pas excessivement bien traité dans la petite partie occidentale de l’Europe où le hasard m’a fait naître.

Je vous avoue que j’aimerais mieux avoir l’honneur de souper avec vous que de rester au milieu des neiges dans la belle et épouvantable chaîne des Alpes, ou de courir de roi en impératrice. Soyez très-sûre, madame, que vos lettres ont fait de mon envie extrême de vous revoir une passion. Comptez que mon âme court après la vôtre.

Je serais peut-être un peu décontenancé devant Mme la duchesse de Choiseul. Quand le vieux chevalier Destouches Canon, père putatif de d’Alembert, voyait une jolie femme, bien aimable, il lui disait : « Passez, passez vite, madame ; vous n’êtes pas de ma sorte. » Je suis devenu un peu grossier dans ma retraite champêtre.

Que m’importe que la nature,
En dessinant ses traits chéris,
Pour modèle ait pris la figure
De la Vénus de Medicis ?
Je suis berger, mais non Pâris.
Un vieux berger n’est pas un homme.
Je pourrais lui donner la pomme
Sans que mon cœur en fût épris,
Et sans que la maligne engeance
Des déesses de son pays
Reprochât à mes sens surpris
D’être séduits par l’apparence.
Je sais que son esprit orne
À toute la délicatesse
Que l’on vanta dans Sévigné,
Avec beaucoup plus de justesse,
Qu’elle aime fort la vérité,
Mais ne la dit qu’avec finesse.
Ma grossière rusticité
Et mon impudence Suissesse
Auraient grand’peine à se prêter