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ANNÉE 1769.

de saint Cucufin pour une plaisanterie ; il n’y a pas un mot qui ne soit dans la plus exacte vérité. Vous aurez dans un mois quelque chose qui ne sera qu’allégorique[1] ; il faut varier vos petits divertissements.

Vous ne m’avez point répondu sur les Singularités de la nature[2] ; ainsi je ne vous les envoie pas, car c’est une affaire de pure physique qui ne pourrait que vous ennuyer.

Vous me faites grand plaisir, madame, de me dire que vous ne craignez rien pour M. Grand’maman[3]. J’ai un peu à me plaindre d’une personne[4] qui lui veut du mal, et je m’en félicite. J’aime à voir des Racine qui ont des Pradon pour ennemis ; cela me fait penser à la queue du Siècle de Louis XIV, que j’ai eu l’honneur de vous envoyer. Votre exemplaire, sauf respect, est précieux, parce qu’il est corrigé en marge. Faites-vous lire la prison de La Bourdonnais[5] et la mort de Lally[6], et vous verrez comme les hommes sont justes.

Quand je serai plus vieux, j’y ajouterai la mort du chevalier de La Barre et celle de Calas, afin que l’on connaisse dans toute sa beauté le temps où j’ai vécu. Selon que les objets se présentent à moi, je suis Heraclite ou Démocrite ; tantôt je ris, tantôt les cheveux me dressent à la tête : et cela est très à sa place, car on a affaire tantôt à des tigres, tantôt à des singes.

Le seul homme presque de l’âme de qui je fasse cas est M. Grand’maman ; mais je me garde bien de le lui dire. Pour vous, madame, je vous dis très-naïvement que j’aime passionnément votre façon de penser, de sentir, et de vous exprimer ; et que je me tiens malheureux, dans mon bonheur de campagne, de passer ma vieillesse loin de vous. Mille tendres respects.

Faites-moi savoir, je vous prie, comment vont l’âme et le corps de votre ami.


7499. — À M. L’ABBÉ AUDRA[7].
Ferney, 10 mars.

Voici enfin, monsieur, l’infortuné Sirven qui paraît devant vous ; il perdra ce titre d’infortuné grâce à vos bontés et à celles

  1. La tragédie des Guébres ; voyez tome VI, page 483.
  2. Voyez tome XXVII, page 125.
  3. Le duc de Choiseul.
  4. Mme Du Barry.
  5. Voyez tome XV, page 331.
  6. Voyez ibid., page 366.
  7. Éditeurs, de Cayrol et François.