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CORRESPONDANCE.

ces orages violents qui bouleversent quelquefois et qui désolent la société. Je suis persuadé que la cause secrète de ces violences qui lui échappaient de temps en temps était son aversion naturelle pour la vie de la campagne, aversion qui ne pouvait être surmontée que par une grande affluence de monde, des fêtes, et de la magnificence. Cette vie tumultueuse ne convient ni à mon âge de soixante-quatorze ans, ni à la faiblesse de ma santé. Je me voyais d’ailleurs très à l’étroit par la cessation du payement de mes rentes, tant de la part de M. le duc de Wurtemberg que de celle de M. le maréchal de Richelieu, et de quelques autres grands seigneurs. Elle est allée à Paris recueillir quelques débris, tandis que je m’occuperai des affaires d’Allemagne. Malgré ce dérangement actuel, je lui fais tenir à Paris vingt mille livres de pension : elle possède d’ailleurs douze mille livres de rente : elle en aura beaucoup davantage ; je mourrais avec trop d’amertume si aucun de mes proches pouvait, à ma mort, m’accuser de l’avoir négligé. Je n’en ai pas assez fait pendant ma vie : mais si je peux végéter encore deux années, j’espère que je ne serai pas inutile à ma famille. Je voulais vendre le château que j’ai l’ait bâtir pour votre sœur, afin de lui procurer tout d’un coup une somme considérable d’argent comptant, et je me privais volontiers des agréments de ce séjour, qui sont très-grands sept à huit mois de l’année. Elle n’a pas saisi assez tôt une occasion favorable et unique qui se présentait. Elle a malheureusement manqué un marché qui ne se retrouvera jamais. Pour moi, il ne me faut qu’une chambre pour mes livres, et une pour me chauffer pendant l’hiver. Un vieillard n’a pas de goûts chers.

Je sais tous les discours qu’on a tenus à Paris, tout ce qu’on a inséré dans les gazettes. Je suis accoutumé à ces sottises, qui s’anéantissent en deux jours. La Harpe a malheureusement donné lieu à tout cela par son infidélité[1], et par cet orgueil mêlé d’impolitesse et de dureté qu’on lui reproche avec tant de raison ; cependant, loin de lui nuire, je lui ai pardonné, et je l’ai même défendu.

J’ai cru devoir à l’amitié et à la parenté le compte que je viens de vous rendre. Adieu, mes chers seigneurs d’Hornoy : je dis toujours avec douleur : Ah ! que Ferney n’est-il en Picardie !

Je vous embrasse tous deux tendrement.

  1. Voyez tome XXVII, page 17.