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CORRESPONDANCE

livet : il était le premier homme de Paris pour la valeur des mots ; mais je crois son successeur, l’abbé de Condillac, un des premiers hommes de l’Europe pour la valeur des idées. Il aurait fait le livre de l’Entendement humain, si Locke ne l’avait pas fait, et, Dieu merci, il l’aurait fait plus court. Nous avons fait là une bonne acquisition. Il y a quelque temps que je n’ai vu M. Hennin. Je ne puis vous dire quand il partira. Je ne sais nulle nouvelle ni du monde, ni de mes voisins : je suis enterré. Il y a huit mois que je n’ai mis le pied hors de chez moi. Quand on est vieux malade, on se retire bien volontiers du monde. C’est un grand bal où il ne faut pas s’aviser de paraître lorsqu’on ne peut plus danser. Pour M. de La Harpe et vous, je vous conseille de danser de toute votre force.

Le vieux malade vous embrasse de tout son cœur.

7374. — À M. GAILLARD.
À Ferney, 2 novembre.

Il est vrai, mon cher et illustre ami, que l’Académie de Rouen m’a fait l’honneur de m’écrire qu’elle m’envoyait l’ouvrage couronné[1], sans me dire qu’il était de vous. Vous me comblez de joie en m’apprenant que vous en êtes l’auteur. Ce ne sera donc pas seulement une pièce couronnée, mais une excellente pièce. Le sieur Panckoucke, qui a fait si longtemps la litière de Fréron[2], et qui fait actuellement la mienne[3], était chargé de m’envoyer votre discours ; mais il est devenu un homme si important depuis qu’il débite les malsemaines de ce Fréron, qu’il ne s’est mis nullement en peine de me faire parvenir l’ouvrage après lequel je soupire.

Je suis réduit à vous faire des compliments à vide ; j’ai remercié l’Académie normande[4] sans savoir de quoi, et je brûle d’envie de vous remercier en connaissance de cause.

Je vois bien que nous n’aurons pas la partie ecclésiastique[5] de ce brave chevalier et de ce pauvre roi François Ier ; cette partie est la honteuse. Charles-Quint, son supérieur en tout, ne faisait

  1. Éloge de Pierre Corneille, par Gaillard.
  2. Il avait été le libraire de l’Année littéraire ; voyez tome XXV, page 255.
  3. Il publiait l’édition in-4° des Œuvres de Voltaire ; voyez lettre 7298.
  4. Voyez la lettre 7365.
  5. Les tomes V, VI et VII de la première édition de l’Histoire de François Ier, par Gaillard, ne parurent qu’en 1769. L’Histoire ecclésiastique forme le livre septième de cette Histoire.