On a imprimé cet ouvrage sous le nom d’un marquis de Belestat, qui demeure dans ses terres en Languedoc ; mais enfin celui qui l’a fait imprimer m’a avoué qu’il était de La Beaumelle : je m’en étais bien douté. Le maraud a quelquefois le bec retors et la griffe tranchante ; mais aussi on n’a jamais débité des mensonges avec une impudence aussi effrontée. Le président sera sans doute bien aise que ces traits soient partis d’un homme décrié.
Comment pourrai-je vous envoyer le Siècle de Louis XIV et le Précis du suivant[1], poussé jusqu’à l’expulsion des révérends pères jésuites ?
Mon culte de dulie ne finira qu’avec moi.
Vous pardonnerez, mon cher philosophe, à un pauvre malade sa négligence à vous répondre, car un vrai philosophe est compatissant. Ce pauvre Ferney a été un hôpital.
Si Mme de Marron l’honore de sa présence, elle sera comme Philoctète, qui vint à Thèbes en temps de peste.
Il est vrai que rien n’est plus étrange pour une dame que de faire trois tragédies en quatre mois, et de composer la quatrième. Il est très-difficile d’en faire une bonne en un an. Phèdre coûta deux années à Racine. Mais quand il y aurait des défauts dans les ouvrages précipités de Mme de Marron, cette précipitation et cette facilité seraient encore un prodige. J’irais l’admirer chez elle, si je pouvais sortir ; mais si elle veut que je voie ses pièces, il faudra bien qu’elle vienne à Ferney. Vous savez bien que les déesses prenaient la peine autrefois de descendre sur leurs autels pour y recevoir l’encens de leurs adorateurs. Elle me verra malade, mais je suis le malade le plus sensible au mérite et aux beaux vers.
Je ne sais si vous êtes actuellement occupé avec les astres ; pour moi, je suis fort mécontent de la terre : nous ne pouvons semer ; on n’aura point de récolte l’année prochaine, si Dieu n’y met la main.
- ↑ L’édition de 1768 du Siècle de Louis XIV.