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ANNÉE 1767

Paris ; s’il lui proposerait de lever deux cent mille hommes, quand on en veut avoir cent mille ; et s’il ferait un grand chapitre sur les qualités requises dans un conseiller d’État, etc.

Certainement, au lieu d’écrire de telles bêtises dignes de l’amour-propre absurde du petit abbé de Bourzeys, conseiller d’État ad honores, M. le duc de Choiseul parlerait au roi du pacte de famille, qui lui fera honneur dans la postérité ; il pèserait le pour et le contre de l’union avec la maison d’Autriche ; il examinerait ce qu’on peut craindre des puissances du Nord, et surtout comment on s’y peut prendre pour tenir tête sur mer aux forces navales de l’Angleterre. Il ne s’égarerait pas en lieux communs, vagues, et pédantesques : il n’intitulerait pas ce mémoire du nom ridicule de Testament politique, il ne le signerait pas d’une manière dont il n’a jamais signé. Il est plaisant qu’on ait fait dire au cardinal de Richelieu, dans ce ridicule Testament, tout le contraire de ce qu’il devait dire, et rien de ce qui était de la plus grande importance ; rien du comte de Soissons, rien du duc de Weimar ; rien des moyens dont on pouvait soutenir la guerre dans laquelle on était embarqué ; rien des huguenots qui lui avaient fait la guerre, et qui menaçaient encore de la faire ; rien de l’éducation du dauphin, etc., etc., etc.

Je ne finirais pas, si je voulais rapporter tous les péchés d’omission et de commission qui sont dans ce détestable ouvrage. Les hommes sont, depuis très-longtemps, la dupe des charlatans en tout genre.

Je ne suis point du tout surpris, monsieur, que l’abbé de Bourzeys se soit servi de quelques expressions du cardinal. Corneille lui-même en a pris quelques-unes. J’ai vu cent petits-maîtres prendre les airs du cardinal de Richelieu, et je vous réponds qu’il y avait cent pédants qui imitaient le style du cardinal.

Si le cardinal a souvent dit fort trivialement qu’il faut tout faire par raison, malgré le sentiment du Père Canaye[1], il est tout naturel que l’abbé de Bourzeys ait copié cette pauvreté de son maître.

Au reste, monsieur, je hais tant la tyrannie du cardinal de Richelieu que je souhaiterais que le Testament fût de lui, afin de le rendre ridicule à la dernière postérité. Si jamais vous trouvez des preuves convaincantes qu’il ait fait cette impertinente pièce, nous aurons le plaisir, vous et moi, de juger qu’il fallait plutôt le mettre aux Petites-Maisons que sur le trône de France, où il

  1. Voyez la note, tome XXIII, page 564.