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CORRESPONDANCE

amours du chauve Gabriel Cramer), il est marqué[1] expressément que ce fait est tiré du dépôt improprement nommé des affaires étrangères. Les Anglais disent archives ; ils se servent toujours du mot propre : ce n’est pas ainsi qu’en usent les Welches. Je vous répéterai encore ce que j’ai mandé à M. le duc de Choiseul[2] : c’est que la Vérité est la fille du Temps[3], et que son père doit la laisser aller à la fin dans le monde.

Comme il y a assez longtemps que je ne lui ai écrit, et que ma requête en faveur de la Vérité était jointe à d’autres requêtes touchant les grands chemins de Versoy, il n’est pas étonnant qu’il ait oublié les grands chemins et les anecdotes.

À l’égard du cardinal de Richelieu, je vous jure que je n’ai pas plus de tendresse que vous pour ce roi-ministre. Je crois qu’il a été plus heureux que sage, et aussi violent qu’heureux. Son grand bonheur a été d’être prêtre. On lui conseilla de se faire prêtre lorsqu’il faisait ses exercices à l’académie, et que son humeur altière lui faisait donner souvent sur les oreilles. J’ajoute que, s’il a été heureux par les événements, il est impossible qu’il l’ait été dans son cœur. Les chagrins, les inquiétudes, les repentirs, les craintes, aigrirent son sang et pourrirent son cul. Il sentait qu’il était haï du public autant que des deux reines, en chassant l’une et voulant coucher avec l’autre, dans le temps qu’il était loué par des lâches, par des Boisrobert, des Scudéri, et même par Corneille. Ce qui fit sa grandeur abrégea ses jours. Je vous donne ma parole d’honneur que, si j’avais vécu sous lui, j’aurais abandonné la France au plus vite.

À l’égard de son Testament, s’il en est l’auteur, il a fait là un ouvrage bien impertinent et bien absurde ; un testament qui ne vaut pas mieux que celui du maréchal de Belle-Isle.

Si, parmi les raisons qui m’ont toujours convaincu que ce Testament était d’un faussaire, l’article du comptant secret n’est pas une raison valable, ce n’est, à mon avis, qu’un canon qui crève dans le temps que tous les autres tirent à boulets rouges ; et pour un canon de moins, on ne laisse pas de battre en brèche.

Demandez à M. le duc de Choiseul, supposé (ce qu’à Dieu ne plaise !) qu’il tombât malade, et qu’il laissât au roi des mémoires sur les affaires présentes, s’il lui recommanderait la chasteté ; s’il lui parlerait beaucoup des droits de la Sainte-Chapelle de

  1. Cela n’est pas marqué ; voyez la note 4, page 453.
  2. Cette lettre à M. de Choiseul manque.
  3. Voyez tome XXI, page 562.