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CORRESPONDANCE

arranger sa santé, ses affaires, et les miennes. Tout cela s’est délabré pendant vingt ans qu’elle a été loin de Paris. Je suis menacé plus que jamais d’un voyage dans le Wurtemberg. Voilà Ferney redevenu un désert comme il l’était avant que j’y eusse mis la main. Je quitte Melpomène pour Cérés et Pomone.

Braves jeunes gens, cultivez les beaux-arts, et gorgez-vous de plaisirs ; j’ai fait mon temps.

Voici une drôlerie[1] qui vient, dit-on, de Lyon ; elle pourra vous amuser. Je suis bien sûr de votre discrétion. Vous ne ressemblez pas aux gens qui font courir les bagatelles sous mon nom, et qui disent toujours : C’est lui, c’est lui. Non, messieurs, ce n’est point moi. Plût au juste ciel qu’on n’eût jamais publié certain second chant d’une baliverne[2] qui était enfermée dans ma bibliothèque ! Mais, encore une fois, tout le monde n’a pas votre discrétion, mon cher confrère. J’ai été profondément affligé ; mais je pardonne tout à ceux qui n’ont point eu d’intention de nuire. Adieu : je vous embrasse bien fort. Mme Denis et l’enfant vous embrasseront mieux.

7192. — À M. LE COMTE DE ROCHEFORT.
Ferney, 1er mars.

Vous m’avez envoyé, monsieur, du vin de Champagne quand je suis à la tisane ; c’est envoyer une fille à un châtré. Je comptais au moins avoir la consolation d’en boire quelques verres avec vous, si vous pouviez passer par notre ermitage. Mais Mme Denis part cette semaine pour Paris, pour des affaires indispensables ; et moi, je serai obligé, dès que je pourrai me traîner, d’aller consommer avec M. le duc de Wurtemberg une affaire épineuse dont dépend la fortune qui me reste, et celle de ma famille entière.

J’envoie à M. de Chenevières ce que vous demandez. M. le duc de Choiseul et M. Bertin en ont été très-contents. L’auteur, qui est inconnu, souhaiterait que M. le contrôleur général en fût un peu satisfait.

J’ai été très-affligé que M. de La Harpe ait donné un certain second chant[3]. Il savait qu’il ne devait jamais paraître ; il l’a pris

  1. Lettre de l’archevêque de Cantorbéry ; voyez tome XXVI, page 577.
  2. Le second chant de la Guerre civile de Genève ; voyez tome IX et la lettre suivante.
  3. De la Guerre civile de Genève.