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CORRESPONDANCE

a plus de quarante ans. Les gens de lettres sont plus inhumains qu’on ne pense : ils exposent un pauvre homme aux plus grands dangers, pour avoir seulement le plaisir de deviner. Ils disent : Voilà son style, c’est lui. Eh ! mes amis ! pour peu que vous ayez d’honnêteté, ne devriez-vous pas dire : Ce n’est pas lui ? Pourquoi calomniez-vous vos camarades ?

Je vous porte mes plaintes, mon cher ami, contre toutes ces injustices, parce que je connais votre cœur. Tout le monde ne vous ressemble pas. Vous n’imaginez point avec quelle vivacité de sentiment mes vieux bras se tendent vers vous, et combien mon cœur vous aime.

7177. — À M. LE COMTE ANDRÉ SCHOUVALOW.
À Ferney, 12 février.

Vous m’avez écrit de Moscou, monsieur, une lettre telle qu’on n’en écrit point de Versailles, soit pour le style, soit pour le fond des choses, et vous avez enflammé mon cœur. Je ne sais si vous connaissez la mauvaise comédie des Visionnaires[1], qui eut autrefois en France le plus grand succès. Il y a dans cette pièce une vieille folle qui est amoureuse d’Alexandre. Pour moi, je suis un vieux fou amoureux de Catherine, qui me paraît autant au-dessus d’Alexandre que le fondateur est au-dessus du destructeur.

Voici un sermon[2] dont il me paraît qu’elle est la sainte. Le prédicateur propose hardiment pour modèle, à une petite nation, l’exemple du plus vaste empire du monde. On rend de justes hommages à la législatrice du Nord dans mon voisinage, tandis qu’en France on fait encore le panégyrique de saint François, fondateur des cordeliers ; de saint Dominique, à qui nous devons les jacobins ; de saint Norberg, qui nous a donné les prémontrés.

Nous leur avons assurément beaucoup d’obligations, et je trouve fort bon qu’ils aient des autels, quoique nous prétendions n’être point idolâtres. Je révère fort sainte Thérèse et sainte Ursule, mais j’aime mieux sainte Catherine.

Je suis bien étonné que Diderot, en faveur de qui cette sainte Catherine a fait des miracles[3], ne lui ait pas chanté quelques antiennes. Il craint apparemment certains hérétiques qui sont

  1. Comédie de Desmarets de Saint-Sorlin.
  2. Sermon, etc., par Josias Rossette ; voyez tome XXVI, page 581.
  3. Voyez tome XLIII, page 542 ; et XLIV, 553.