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7174. — À MADAME LA DUCHESSE DE CHOISEUL.
À Ferney, 8 février.

Madame, un vieillard presque aveugle, et une jeune femme qui serait bien fière si elle avait des yeux comme les vôtres, vous supplient de daigner agréer leurs hommages et leurs remerciements. Nous devons à votre protection tout ce que M. le duc de Choiseul a bien voulu accorder à M. Dupuits. Si le vieux bonhomme et moi nous avions quelque petite partie de la succession de Pierre Corneille, nous la dépenserions en grands vers alexandrins pour vous témoigner notre reconnaissance ; mais les temps sont bien durs, et la plupart des vers qu’on fait le sont aussi. Nous nous défions même de la prose. Nous entendons si peu les livres qu’on nous envoie de Paris que nous craignons d’avoir oublié notre langue.

Nous sommes très-honteux l’un et l’autre d’exprimer notre extrême sensibilité dans un style si barbare ; mais, madame, nous vous supplions de considérer que nous sommes des Allobroges. Des gens arrivés de Versailles nous ont dit qu’il fallait absolument avoir de la finesse, de la justesse dans l’esprit, des grâces et du goût, pour oser vous écrire ; nous ne les avons point crus. Nous ne sommes pas de votre espèce, et nous nous sommes flattés au contraire que la supériorité était indulgente, et que les grâces ne rebutaient pas la naïveté.

Nous sommes, dans cette confiance, avec un profond respect, madame, etc.

7175. — À M. DAMILAVILLE[1].
8 février.

Le malheur des Sirven fait le mien ; je suis encore atterré de ce coup. Je conçois bien que la forme a pu l’emporter sur le fond. Le conseil a respecté les anciens usages ; mais, mon cher ami, s’il y a des cas où le fond doit faire taire la forme, c’est assurément quand il s’agit de la vie des hommes.

Quelle forme enfin reprendra votre fortune ? que deviendrez-vous ? Je n’en sais rien. Tout ce que je sais, c’est que je suis profondément affligé.

Nos chagrins redoublent par la quantité incroyable d’écrits

  1. Cette lettre est la dernière à M. Damilaville, qui mourut, peu de temps après, d’un abcès à la gorge. (K.)