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N’est-ce pas la chose du monde la plus aisée de parler et de trouver quelqu’un qui parle à un fermier général ? Je vous répète encore ce que nous avons dit, Mme Denis et moi, dans notre dernière lettre : demandons des délais à M. de Montyon. Faites agir cependant, ou agissez vous-même auprès de M. de Maupeou ; qu’on lui fasse sentir l’impertinente absurdité de m’accuser d’être le colporteur de quatre-vingts (car je sais à présent qu’il y en a tout autant) exemplaires du Vicaire savoyard[1] 1 de Jean-Jacques, mon ennemi déclaré ! Songez bien surtout à notre dernier mémoire, signé de Mme Denis, du 28 décembre, commençant par ces mots : Le sieur de Voltaire étant retombe malade, etc. Observez que tous nos mémoires sont uniformes. Réparez, autant que vous le pourrez, le dangereux énoncé que vous avez fait que la femme Doiret était parente de notre femme de charge ; nous avons toujours affirmé tout le contraire, selon la plus exacte vérité. Nous avons même donné à monsieur le vice-chancelier, et par conséquent au président du bureau, la facilité de savoir au juste cette vérité par le moyen du président du grenier à sel de Versailles, beau-frère de notre femme de charge. Nous n’avons épargné aucun soin pour être en tout d’accord avec nous-mêmes, et cette malheureuse invention de rendre la femme Doiret parente de nos domestiques est capable de tout perdre.

Pardon, mon cher ange, si je vous parle ainsi. L’affaire est beaucoup plus grave que vous ne pensez, et il faut, en affaires, s’expliquer sans détour avec ceux qu’on aime tendrement. Ne dites point que les mots d’affaire cruelle et déshonorante soient trop forts ; ils ne le sont pas assez : vous ne connaissez pas l’esprit de province, et surtout l’esprit de notre province. Il y a un coquin de prêtre[2] contre lequel j’ai fait intenter, il y a quelques années, un procès criminel pour une espèce d’assassinat dévotement commis par lui ; il lui en a coûté quatre mille francs, et vous pensez bien qu’il ne s’endort pas : et quand je vous dis qu’il faut faire chasser incessamment Janin, qui est lié avec ce prêtre, je vous dis la chose du monde la plus nécessaire et qui exige le plus de promptitude.

On parle déjà d’engager l’évêque[3] du pays à faire un mandement allobroge. Vous ne pouvez concevoir combien le tronc de

  1. Le Vicaire savoyard faisait partie du Recueil nécessaire, dont presque toutes les pièces sont de Voltaire.
  2. Ancian, curé de Moëns.
  3. Biord.