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chaleur que pour des vers de tragédie, et qu’on n’en mette pas dans les choses les plus intéressantes pour des amis tels que vous.

Il ne m’appartient pas de me dire l’ami de M. le duc de Choiseul, comme Horace l’était de Mécène ; mais il m’honore de sa protection. Sachez que, dans le temps même que vous ne vous adressiez pas à votre ami pour une affaire essentielle qui peut vous compromettre autant que moi-même, M. le duc de Choiseul, accablé d’affaires, parlait à monsieur le vice-chancelier pour un maître des comptes, beau-frère de Mlle Corneille qui a épousé M. Dupuits. M. le duc de Choiseul, qui ne connaît ni M. Dupuits ni ce maître des comptes, faisait un mémoire à ma seule recommandation, le donnait à M. de Maupeou, m’envoyait copie du mémoire, m’envoyait une lettre de quatre pages de monsieur le vice-chancelier sur cette affaire de bibus. Voilà comme on en agit quand on veut obliger, quand on veut se faire des créatures. M. le duc de Choiseul a tiré deux hommes[1] des galères à ma seule prière, et a forcé M. le comte de Saint-Florentin à faire cette grâce. Je ne connaissais pas assurément ces deux galériens ; ils m’étaient seulement recommandés par un ami.

Est-il possible que dans une affaire aussi importante que celle dont il s’agit entre nous, votre ami, qui pouvait tout, soit demeuré tranquille ! Pensez-vous qu’une lettre de Mme la duchesse d’Enville, écrite après coup, ait fait une grande impression, et ne voyez-vous pas que le président du bureau peut, s’il le veut, faire un très-grand mal ?

Quand je vous dis que Le Jeune passe pour être l’associé de Merlin, je vous dis la vérité, parce que La Harpe l’a vu chez Merlin, parce que sa femme elle même a dit à son correspondant qu’elle faisait des affaires avec Merlin. En un mot, pour peu que le président du bureau ait envie de nuire, il pourra très-aisément nuire ; et je vous dirai toujours que cette affaire peut avoir les suites les plus douloureuses si on ne commence par chasser de son poste le scélérat Janin. Dès qu’il sera révoqué, je trouverai bien le moyen de lui faire vider le pays sur-le-champ ; ne vous en mettez pas en peine.

Est-il possible que vous ne vouliez jamais agir ! Quelle difficulté y a-t-il donc d’obtenir de M. de La Reynière ou de M. Rougeot la révocation soudaine d’un misérable et d’un criminel ?

  1. Condamnés pour un délit de chasse commis dans un domaine de la couronne.