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ANNÉE 1767

vous me dites de séduisant ; je n’y reconnais qu’une chose de vraie : c’est le vif intérêt que je prends aux progrès des jeunes gens dans les lettres.

Vous voulez, monsieur, faire une pièce de théâtre ; et Henri IV est votre héros. Je suis très-peu propre à décider, dans ma retraite, du succès que doit avoir une pièce de théâtre à Paris. On dit que le goût du public est entièrement changé. Le mien, qui ne l’est pas, est trop suranné et trop hors de mode.

Je suis, etc.

7116. — À M. MARMONTEL.
1er janvier 1768.

Que voulez-vous que je vous dise, mon cher confrère ? Le pain vaut quatre sous la livre ; il y a des gens de mérite qui n’en ont pas assez pour nourrir leur famille, et on a élevé des palais pour loger et nourrir des fainéants qui ont beaucoup moins de bon sens que Panurge[1], qui sont bien loin de valoir frère Jean des Entommeures[2], et qui n’ont d’autre soin, après boire, que de replonger les hommes dans la crasse ignorance qui dota autrefois ces polissons.

Tout ce qui m’étonne, c’est qu’on ne se soit pas encore avisé de faire une faculté des Petites-Maisons. Cette institution aurait été beaucoup plus raisonnable : car enfin les Petites-Maisons n’ont jamais fait de mal à personne, et la sacrée Faculté en a fait beaucoup. Cependant, pour la consolation des honnêtes gens, il paraît que la cour fait de ces cuistres fourrés tout le cas qu’ils méritent, et que, si on ne les détruit pas, comme on a détruit les jésuites, on les empêche au moins d’être dangereux.

On n’en fait pas encore assez. Il faudrait leur défendre, sous peine d’être mis au carcan avec un bonnet d’âne, de donner des décrets. Un décret est une espèce d’acte de juridiction. Ils peuvent tout au plus dire leur avis comme les autres citoyens, au risque d’être sifflés ; mais ils n’ont pas plus droit que Fréron de donner un décret. Les théologiens ne donnent des décrets ni en Angleterre, ni en Prusse : aussi les Anglais et les Prussiens nous ont bien battus. Il faut de bons laboureurs et de bons soldats, de bons manufacturiers, et le moins de théologiens qu’il soit possible : tous ces petits ergoteurs rendent une nation ridicule et

  1. Personnage du Pantagruel de Rabelais.
  2. Idem.