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Il est peut-être encore temps d’assoupir cette affaire, si on s’y prend avec la vivacité et la chaleur qu’elle mérite. Songez, madame, que, si elle était portée au criminel, il ne s’agit pas moins que de la vie pour les accusés, et qu’il y en a des exemples.

Prenez sur vous, madame, de dire à M. le duc de Praslin la chose tout comme elle est. Il aura sans doute le courage de parler à monsieur le vice-chancelier, et de faire enterrer dans un profond oubli une affaire dont l’éclat serait épouvantable. Pourquoi n’a-t-on pas pris ce parti d’abord ? Je m’y perds : car il est bien certain que M. d’Argental a été instruit qu’il fallait parler à monsieur le vice-chancelier plus de cinq ou six heures avant que ce magistrat, occupé de l’affaire de M. de La Chalotais, ait pu lire la lettre du bureau de Collonges. Ce moment manqué, et toute notre maison ayant été, ainsi que la pauvre Le Jeune, dans des transes continuelles depuis le 23 décembre jusqu’au 8 janvier, sans recevoir aucun mot d’avis, en proie aux discours affreux de la province et de Genève, nous nous voyons enfin traduits à un tribunal, et personne ne peut savoir, quand un procès commence, comment il finira.

Il ne faut pas se flatter que les conseillers d’État, que les maîtres des requêtes qui composent ce bureau se tairont : il y aura de l’éclat si l’affaire n’est pas étouffée. Il faudra bien que le receveur de Collonges dise ses raisons. Il nommera le quidam qui a accompagné Mme Le Jeune, et ce quidam se trouve tout juste celui qui peut tout perdre : c’est ce fripon de Janin qui l’a vendue, après lui avoir fait les offres les plus pressantes ; c’est ce Janin, contrôleur du bureau de Sacconex, dont nous obtiendrons probablement la destitution par M. Rougeot, fermier général, notre ami, et par M. de La Reynière, à qui nous avons écrit. Mais nous ne tenons rien si nous ne sommes secondés. Il est si aisé de faire parler à des fermiers généraux que je ne conçois pas qu’on ait pu manquer ce préliminaire, qui est d’une nécessité absolue. Si ce nommé Janin reste encore au pays de Gex quinze jours, j’aimerais autant que toute cette histoire fût dans la gazette, et vous verrez qu’elle y sera pour peu qu’on se néglige. Car malheureusement, en quelque endroit que soit mon oncle, il est sous le chandelier. Croyez-moi, madame, je vous en conjure ; exigeons de M. de Montyon qu’il diffère le rapport. Engagez M. le duc de Praslin à demander très-sérieusement que tout soit assoupi. Je l’estime trop pour penser qu’il craigne de se compromettre pour une amie telle que vous. Il aurait dû parler dès le 28 décembre. À quoi sert l’amitié, si elle n’agit pas ? Votre