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CORRESPONDANCE.

Par les plaisirs vos moments sont comptés.
Goûtez longtemps cette douceur première ;
À la raison joignez les voluptés ;
Et que je puisse, à mon heure dernière,
Me croire heureux de vos félicités.

Voilà ce qu’un vieux malade, qui n’en peut plus, dit à deux jeunes époux dignes du bonheur qu’il leur souhaite. Monsieur et madame, je me garderai bien de vous séparer.

À moi, du vin de Champagne ! à moi, qui suis à l’eau de poulet ! à moi, pauvre confisqué ! Ah ! monsieur et madame, venez le boire vous-mêmes. Je ne puis être que le témoin des plaisirs des autres, et c’est surtout aux vôtres que je m’intéresse.

Votre satisfaction mutuelle me ranime un moment pour vous dire à tous deux avec combien de reconnaissance et de respect j’ai l’honneur d’être, etc.

7085. — À STANISLAS-AUGUSTE PONIATOWSKI,
roi de pologne.
6 décembre.

Sire, on m’apprend que Votre Majesté semble désirer que je lui écrive. Je n’ai osé prendre cette liberté. Un certain Bourdillon[1], qui professe secrètement le droit public à Bâle, prétend que vous êtes accablé d’affaires, et qu’il faut captare mollia fandi tempora[2]. Je sais bien, sire, que vous avez beaucoup d’affaires ; mais je suis très-sûr que vous n’en êtes pas accablé, et j’ai répondu au sieur Bourdillon : Rex ille superior est negotiis.

Ce Bourdillon s’imagine que la Pologne serait beaucoup plus riche, plus peuplée, plus heureuse, si les serfs étaient affranchis, s’ils avaient la liberté du corps et de l’âme, si les restes du gouvernement gothico-sclavonico-romano-sarmatique étaient abolis un jour par un prince qui ne prendrait pas le titre de fils aîné de l’Église, mais celui de fils aîné de la raison. J’ai répondu au grave Bourdillon que je ne me mêlais pas d’affaires d’État, que je me bornais à admirer, à chérir les salutaires intentions de Votre Majesté, votre génie, votre humanité, et que je laissais les

  1. C’est le nom sous lequel M. de Voltaire avait publié l’Essai sur les Dissensions des églises de Pologne ; voyez tome XXVI, page 451.
  2. Virgile (Æn., IV, 293-294) a dit :

    · · · · · · · · · · Mollissima fandi
    Tempora · · · · · · · · · ·