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ANNÉE 1767.

et plus usé que lui. Je dois m’attendre à la même aventure au premier jour. Que cette dernière facétie soit jouée dans mon désert ou demain, ou dans six mois, ou dans un an, cela est parfaitement égal entre deux éternités qui nous engloutissent, et qui ne nous laissent qu’un moment pour souffrir et pour mourir.

Je vous plains beaucoup d’avoir perdu votre protecteur ; mais vous ne perdrez pas pour cela votre emploi. Vous vous soutiendrez par vos propres forces ; et d’ailleurs vous avez des amis. Plût à Dieu que vous pussiez, au lieu de votre emploi, avoir un bénéfice simple, et venir philosopher avec moi sur la fin de ma carrière !

Mandez-moi, je vous prie, si M. Marmontel est revenu à Paris. Le voilà pleinement victorieux ; et il le serait encore davantage si les chats fourrés de la Sorbonne étaient assez fous pour lâcher un décret. Vous m’avez envoyé les Pièces relatives à Bélisaire[1], mais elles ne sont pas complètes.

Il n’est pas juste de m’attribuer l’Honnêteté théologique[2] quand je ne l’ai pas faite. Il faut que chacun jouisse de sa gloire. Ceux qui font ces bonnes plaisanteries sont trop modestes de les mettre sur mon compte. J’ai bien assez de mes péchés, sans me charger encore de ceux de mon prochain.

Je ne suis point du tout fâché qu’on ait imprimé ma lettre à Marmontel[3]. J’y traite Coger de maraud ; et j’ai eu raison, car il a eu la conduite d’un coquin avec le style d’un sot. On peut même imprimer cette lettre que je vous écris, je le trouverai très-bon.

Je vous embrasse de toutes les forces qui me restent.

7067. — À M. COLINI.
À Ferney, 11 novembre.

Mon cher ami, oublierez-vous toujours que j’ai soixante-quatorze ans, que je ne sors presque plus de ma chambre ? Il s’en faut peu que je ne sois entièrement sourd et mort. Vous m’écrivez comme si j’avais votre jeunesse et votre santé. Soyez très-sûr que si je les avais, je serais à Manheim ou à Schwetzingen.

Il y aura toujours un peu de nuage sur la lettre amère de l’électeur au maréchal de Turenne : le fait, entre nous, n’est pas

  1. Voyez une note sur la lettre 7023.
  2. Voyez une note sur la lettre 7057.
  3. C’est la lettre 6966.